Autre Père

Publié le 15 avril 2020 par Nicolas Esse @nicolasesse

Si tous les gens qui n’ont rien à dire se taisaient tous ensemble, imaginez un peu le silence ! L’immense chape de silence qui viendrait étouffer le grondement continu du flot morbide de notre actualité. Sur nos écrans muets, on verrait alors apparaître un panneau en carton : « Chers amis internautes, lecteurs, téléspectateurs, veuillez nous excuser pour cette interruption momentanée des programmes. Nous vous prions de patienter jusqu’à la reprise de nos émissions, dans un mois, dans un an, c’est vous qui voyez. En attendant, voici un peu de Claude François pour vous égayer. »

Si les gens qui n’ont rien à dire se taisaient, ça nettoierait à grande eau le globe spongieux qui clapote entre nos deux oreilles. On serait lavé des hypothèses foireuses, des conjectures creuses, du vomi des prophètes en simili, aux visages plus maquillés que des moteurs de motos volées.
On aurait tant besoin de faire le vide. De se recueillir. De s’incliner sans un mot devant cet amoncellement de cadavres. On aurait tant besoin de temps. Le temps de remplir les fosses communes et de les recouvrir d’une terre provisoire. Le temps d’un geste ou d’une prière, pourquoi pas une prière, qui ne serait pas Notre Père mais grand-papa, mamie, ma mère.

Dehors, les rues sont vides et le ciel aussi. Un moteur lointain tourne au ralenti. Une cloche sonne midi.
Le moteur se tait.
Aucun éclat de voix, juste un bruit de pas qui s’approche, s’éloigne et disparaît.
Surpris, on écoute alors monter le son du silence.

Pendant ce temps, les gens qui n’ont rien à dire continuent de parler pour remplir le vide où il ne cessent de tomber.