Le vent se lève, il faut tenter de vivre

Par Balndorn

Miyazaki, pour son dernier film, a fait le choix de reprendre un décasyllabe, le vers épique par excellence : la parole est d'abord en attente et contemple la montée du vent jusqu'à la césure, et elle-même se fait souffle poétique et existentiel sur les six dernières syllabes.
Miyazaki fait de ce vers initial la clef de son dernier chef-d’œuvre, à la fois lyrique et épique : comment vivre et être heureux alors que les tourmentes de la première moitié du XXesiècle se lèvent sur la terre des hommes et de leurs coutumes ? Comment être un homme lorsque mille épées de Damoclès pèsent sur nos épaules ? 


Résistance en existences


Le récit de ce film magnifique met justement en scène ces puissances politiques encore invisibles qui guettent dans l'ombre, prêtes à bondir de leurs tanières et à faire rendre gorge à leurs proies humaines. Fascisme guerre mort. Des puissances qu'aucun homme ne peut vaincre seul. Mais il peut les tuer en les neutralisant, en en faisant de simples ressorts dramatiques et existentiels.


Le récit de Jiro est une vie sur laquelle pèsent des menaces, de manière diffuse. Il n'y a pas de conflit central et de récompense nette à la clef. Jiro a pour principal objectif de vivre, et c'est pourquoi il est un héros de l'humanité dans ce qu'elle a de plus simple et de plus sublime. Il subit le tremblement de terre de Kanto la Crise l'alliance avec l'Allemagne la tuberculose de celle qu'il aime les menaces de la police secrète impériale la chute de son Zéro dans les affres de la guerre, mais jamais il n'abandonne ses créations.
Créer c'est exister: l'ingénieur et l'artiste sont deux figures de la résistance humaine face à la mort et à son cortège de douleurs.
Mais Jiro n'est pas un héros qui se sacrifie pour la communauté ; Jiro n'est pas un chef. Il n'est qu'un exemple citoyen, tout comme Miyazaki se rêve lui-même. Jiro n'est essentiellement pas un meneur, mais, de manière existentielle, il se construit comme une figure dont on peut s'inspirer, parce qu'il représente le courage de persévérer. Jiro est un travailleur acharné, et s'il y a génie et inspiration, il ne naît que de la contemplation d'arêtes de maquereaux et de l'étude de plans d'avions.
Ses rêves sont toujours vibrants de réalité, et c'est pourquoi les deux dimensions sont toujours fondues dans la même image par le jeu des surimpressions et des morphings : c'est l'arête de poisson qui se fait étincelante aile d'avion, c'est le dessin d'une vis qui devient dessin animé et coloré, c'est Jiro qui répond virtuellement à Caproni. Les cieux de la création ne sont jamais que terrestres et humains chez Miyazaki.
La fiction, c'est le détour que prend l'homme pour mieux se donner vie. 

Moraliser la modernité Et cette fiction, c'est le moyen pour Miyazaki de protéger le XXIesiècle des catastrophes du siècle précédent. Si le XXesiècle a été celui de l'anéantissement de l'homme par l'homme, c'est parce que la destruction des anciennes superstitions aux XVIIIeet XIXesiècles n'a pas été suivi d'une reconstruction de l'homme et de la vie. Le XXea érigé la modernité en véritable art pour l'art, et c'est pour cela qu'une grande partie des inventions technologiques de cette époque ont servi aux grands suicides collectifs.
Miyazaki ne déifie pas, comme le font beaucoup, la modernité : elle n'a de sens que si elle rend l'homme plus heureux et plus libre. C'est là tout le malheur de ces ingénieurs, dont les créations croulent sous le poids des bombes et des mitrailleuses. Ce qui aurait enfin pu venger Icare ne sert qu'à nous faire encore un peu plus ployer l'échine. Et c'est pourquoi tout le travail de Jiro est, au contraire de ses amis avalés par la modernité, de concilier coutumes japonaises et humaines et modernité : un maquereau, plat national, servira de source d'inspiration à son chef-d’œuvre de grâce, le Zéro. Un avion en papier est le pont qui le lie à sa fiévreuse aimée.
Un plan est caractéristique de cette beauté morale et humaine : c'est celui où Jiro calcule d'une main et tient celle de sa jeune femme de l'autre. Science, technique, amour et hommes réunifiés. L'homme nouveau n'est que l'amoureux de la vie, celui qui accepte ce grand cycle de morts et de joies, comme le fait Jiro, comme le fait Miyazaki. 


Le vent se lève, Hayao Miyazaki, 2014, 2h07
Maxime 
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