Où nous entraîne Fleur Cozic quand elle peint ? Ailleurs, loin, dans un univers fantasmagorique où ses huiles empruntent à la poésie leurs traces, est la réponse. C’est à pas de loup que nous entrons dans un monde intérieur loin de la surface, un endroit magique qui nous berce de ses délicates touches, comme un morceau de Chopin joué sur le quart-de-queue de notre imaginaire. Les peintures de Fleur Cozic sont définitivement ces porte-au-loin empruntés à l’univers de Joanne K. Rowling.
Hello Fleur, peux tu te présenter ?
Bonjour Lady K, mes origines sont bretonnes, mon cœur est resté en Bretagne où je suis née il y a 39 ans. Je vis à Paris depuis 19 ans bientôt, j’y ai fait mes études d’histoire de l’art, puis je suis restée, malgré moi, pour le travail. Je ne peux pas regretter mon choix car aujourd’hui je travaille pour un artiste-peintre, Jonone, qui est exceptionnel tant du point de vue artistique qu’humain.
Peux-tu nous raconter comment as-tu commencé à peindre ?
J’ai commencé à dessiner à l’encre, sur papier, dans ma jeunesse. J’ai poursuivi ensuite en arrivant à Paris. Je vivais dans un studio donc la place me manquait. J’ai alors pris l’initiative de peindre ensuite à l’huile sur des toiles du même format (format raisin) avec pour seules bases du bleu, du blanc et du noir. Je faisais des mélanges sans cesse, pour tenter d’obtenir différentes teintes. Mes premières toiles ont donc toutes le même format et la même « base ».
Ensuite, j’ai pu acheter plus de matériel, de plus grands formats n’étant plus étudiante, ayant déménagé aussi, j’ai eu les moyens de développer davantage ma technique.
Depuis toujours j’essaie de développer le même style de peinture : les paysages, en essayant d’en créer de nouveaux en fonction de ce que je vois ou rêve la nuit, parfois à la lisière de l’abstraction.
Que recherches-tu quand tu peins ?
Ma plus belle peinture serait le paysage qui m’effraie mais qui m’aimante. Voici ce que je recherche : un paysage chaotique par l’atmosphère mais apaisant par certaines touches, effrayant par les teintes mais sécurisant dans lequel j’aimerais être. Avoir sous mes yeux, pouvoir toucher, sentir.
C’est intéressant, pourquoi chercher ce contraste ?
Peut-être qu’inconsciemment je recherche les teintes sombres que je peux voir l’hiver en Bretagne au bord de la mer, et malgré ce déchaînement, je trouve le paysage apaisant, sécurisant, sublime.
Quels sont les artistes qui t’inspirent ?
L’artiste pour lequel je porte une admiration sans bornes est Anselm Kiefer, qui est pour moi le plus grand artiste vivant. Pour ses oeuvres monumentales, sa façon de maltraiter les supports pour mieux les sublimer, sa constante recherche dans sa démarche artistique, sa capacité à associer peinture et sculpture dans une même oeuvre. Malgré un chaos visible de prime abord, ses oeuvres sont poétiques, méticuleuses, réfléchies.
Ensuite viennent Hans Hartung, Bernard Buffet, Soulages pour le geste.
Van Gogh, Monet, Turner, Friedrich, Rembrandt pour leur paysages si différents, et pourtant si proches dans le ressenti d’une nuit étoilée, torturée, pour la capacité à transposer la solitude et la mélancolie d’un paysage.
Mon dernier coup de cœur pictural a été en décembre lorsque je suis allée en Pologne voir le Panorama de Racławicka.
Tu peins des paysages et tu vis en ville, peut-on penser que tu es en recherche de quelque chose qui a disparu dans nos villes ?
Non, je ne dirais pas ça. Habiter en ville n’est pas inconciliable pour se créer un autre univers. Chacun se forge dans son esprit les paysages qu’il souhaite voir de par son passé et son présent. Je souhaite que mes toiles invitent à la paréidolie.
Tu donnes des noms qui sont remplis de poésie à tes oeuvres, c’est important pour toi le titre ?
Le titre est très important oui, pour mes oeuvres et mes expositions.
Ma première expo en octobre 2018, avait pour titre E105 ; E pour exposition, 105 car ma Mamie aurait eu 105 ans le 13 octobre. La veille j’avais fait un petit vernissage. Toutes mes toiles avaient pour titre la date de naissance de personnes qui me sont chères.
La deuxième en juin 2019, s’intitulait Melancholia en hommage à une des expositions d’Anselm Kiefer et c’était aussi un clin d’oeil à La Nausée de Sartre. Certains des titres de mes toiles sont en latin.
Le choix des titres oriente la paréidolie du spectateur, ou encore là où tu veux l’entraîner ?
Auparavant non. Par exemple, pour les titres qui portaient des dates de naissance, j’ai essayé de faire en fonction des goûts et de la personnalité de chaque personne. Pour les titres en latin, je souhaitais quelque chose de court et en rapport avec ce que je voyais de prime abord. Lors de ma première exposition, plusieurs personnes ont vu des choses différentes ou non dans mes tableaux, que je n’avais pas vues.
J’ai donc essayé de prendre du recul entre ce que je voyais et ce que le spectateur pourrait voir. L’oeuvre intitulée Hommage à Monet pourrait être un bel exemple, plusieurs jours après l’avoir peinte, j’ai retourné la toile et j’y ai vu des Nymphéas. Avant ma deuxième exposition, j’ai fait la sélection avec une proche, une des toiles était très abstraite pour moi, alors qu’elle a tout de suite vu un visage que moi-même je n’avais pas vu, d’où le titre : Portrait de Femme…
E105 est aussi le nom d’un colorant alimentaire, le jaune solide, est-ce que cette corrélation ajoute du sens à ton choix ?
Ahahahahahah …! non !
Est-ce que travailler avec Jonone influe sur ton travail ?
Non, je ne pense pas, même inconsciemment. Nos domaines picturaux sont diamétralement opposés. La seule chose qui pourrait nous rapprocher est que Jonone tend vers l’abstraction et j’ai l’impression que moi aussi.
As-tu des projets à venir ?
Oui, faire une troisième exposition qui était prévue du 4 au 17 mai à l’Espace Oppidum. Elle est pour le moment repoussée, elle s’intitulera Abîmes. Ensuite j’aimerais davantage diffuser ma peinture. J’espère que tout ce qui était en place avant le confinement aura lieu.
Pourquoi avoir choisi ce titre ?
J’ai choisi ce titre pour amener le spectateur à aller voir au-delà de la matière. Je me suis faite prendre au jeu des spectateurs !
Abîme ça m’évoque les profondeurs, tu parles d’aller au delà de la surface dans ta dernière réponse, est-ce que ce sont comme des paysages intérieurs ?
J’aimerais que le spectateur aille voir au-delà de ce que la toile peut représenter en “surface”. J’aimerais pouvoir faire voyager les personnes qui regardent et regarderont mes toiles.
La pire chose qui puisse arriver quand on peint est de savoir que le spectateur est lassé par ce qu’il voit. J’aime aussi l’idée que certaines de mes toiles puissent avoir deux sens de lecture, en les retournant.
Finalement quand tu peins, tu veux prendre le spectateur par le bout des neurones pour le faire voyager tout en restant dans son salon. Ca doit être très agréable d’avoir une toile de toi chez soi ! Quels sont les retours des collectionneurs justement ?
Merci Lady. K, J’aimerais atteindre ce but. Oui pour le moment mes collectionneurs ont l’air satisfait de leurs choix. Certains m’ont acheté deux, trois toiles, quelques-uns m’ont envoyé des photos in situ. Je trouve cette démarche très sympa de leur part car j’éprouve encore de la nostalgie à voir partir mes toiles. Je ne sais pas ce qu’elles sont toutes devenues, ça fait partie de cette belle aventure. Parfois je me dis : “peut-être que celle-ci ou celle-là je le reverrai dans quelques années ou plus jamais”.
Merci pour cette belle interview pleine de poésie, Fleur.