À Patmos, Jean a écrit l’Apocalypse, un mot qui signifie « révélation ». Il ne prédisait pas l’avenir mais inscrivait le temps humain dans un autre temps, celui « qui était, qui est et qui sera ». Paul aussi, dans ses Épîtres, annonce la fin du monde, une fin qu’il espère pour introniser, comme Jean, le « royaume de Dieu ». Depuis, les récits d’apocalypse ne souhaitent ni ne réfutent la fin du monde. Ils « inventent une forme contemporaine de tragédie qui place l’humanité sous son propre regard critique ». Il s’agit, à partir d’une position à venir de regarder le présent, d’en finir avec le dogme « There is no alternative », de « rouvrir le temps ».
Jean-Paul Engélibert va développer son propos à travers un certain nombre d’ouvrages : livres (depuis Le Dernier homme, de J-B. Cousin de Grainville, publié en 1805, jusqu’à MaddAddaM, de Margaret Atwood, paru en 2013), films (Melancholia de Lars von Trier, On the Beach de Stanley Kramer, et 4:44 Dernier jour sur terre de Abel Ferrara) et séries (notamment Ghost in the Shell). De chapitre en chapitre, c’est bien le regard sur ce que nous vivons qu’il dévoile. Les récits post-apocalyptiques ne s’étendent pas sur la cause de la fin d’un monde mais sur les possibles de la suite.
On rencontre dans ce livre des textes de Michel Deguy (L’énergie du désespoir), Cormac McCarthy (La route), Antoine Volodine (notamment Des anges mineurs), Robert Merle (Malevil), Céline Minard (Le dernier monde), Jean-Luc Nancy, Hannah Arendt… C’est de Michel Deguy que je retiens ces trois points : la menace ne vient pas d’un dieu mais des hommes eux-mêmes, « il n’y a rien à sauver, ni utopie à construire mais ce désespoir exige un rebond vers un impossible », « l’art ne sauve peut-être rien mais il n’y aura pas de rebond sans lui ». Les actuels récits d’apocalypse s’articulent sur la notion d’anthropocène et sur le fait que la Terre fait système.
Plusieurs des livres présentés mettent en évidence le rôle des enfants dans l’advenue d’un nouveau monde, ce qu’on voit par exemple dans La route de Cormac McCarthy, et qui renvoie à cette idée de Hannah Arendt : « L’éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité et, de plus, le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement et sans cette arrivée de jeunes et de nouveaux venus. C’est également avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner а eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer d’avance à la tâche de renouveler un monde commun » (in La crise de la culture).
Cinq parties nous font avancer dans la lecture : Faire table rase, Échapper à l’emprise du présent, Retourner la violence, Reconstruire une société, Repeupler le monde.