" Ah, vous voulez une lumière plus belle que celle du soleil !
Vous voulez des champs plus verts que ceux-ci !
Vous voulez des fleurs plus belles que celles que je vois !
Moi, ce soleil, ces champs, ces fleurs me satisfont.
Mais, si par hasard ils ne me satisfaisaient pas,
Ce que je veux, c'est un soleil plus soleil que le soleil,
ce que je veux ce sont des champs plus champs que ces prés,
Ce que je veux ce sont des fleurs plus fleurs que ces fleurs -
Que tout soit plus idéal que ce qui est de la même sorte et
du même genre !
Cette chose qui est là est plus là qu'elle n'est là !
Oui, je pleure parfois le corps parfait qui n'existe pas.
Mais le corps parfait est le corps le plus corps qui puisse exister,
Le reste, c'est l'ombre des hommes,
La myopie de celui qui voit mal,
Et le désir d'être assis pour celui qui ne sait pas se tenir debout.
Tout le christianisme est un rêve de chaises.
Et comme l'âme est ce qui n'apparaît pas,
L'âme la plus parfaite est celle qui n'apparaît jamais -
L'âme qui est faite avec le corps,
Le corps absolu des choses,
L'existence tout à fait réelle, sans ombres, sans moi,
La coïncidence entière et absolue
D'une chose avec elle-même."
Fernando Pessoa ; extraits de " Poèmes jamais assemblés d'Alberto Caeiro", Éditions Unes, 2019