Monument Regreso a la Patria de Luis Perlotti
(un grand sculpteur argentin du 20e siècle)
à Tunuyán
Le groupe central montre la rencontre dans ce lieu
entre San Martín, monté sur son mulet, et Olazabal, venu l'accueillir,
en janvier 1823, au retour du Chili
Nous sommes en 1823 à Mendoza. San Martín vient de rentrer du Chili après avoir libéré le Pérou qui l’a titré Fondateur de sa liberté. Il vit sous le toit d’une amie, doña Josefa Huidobro (1), le temps que sa maison de campagne, sa chacra, soit remise en état pour qu’il s’y installe, tandis que la guerre civile fait rage dans tout ce qui est aujourd’hui l’Argentine. Olazabal lui sert alors d’officier d’ordonnance. Quarante ans plus tard, il se souvient :
Durante su permanencia en Mendoza, llegó allí desde Chile, y de transito para Buenos Aires, un señor Mosquera, colombiano, y D. Antonio Arcos, antiguo Jefe de Ingenieros en el ejército de los Andes. Uno de los muchos días que comía con el general, lo halle en su dormitorio con una pequeña imprenta sobre la mesa y cuatro botellas de vino, timbrando unos papelitos como los que traen los licores. En el momento que entré, me preguntó: - ¿A que no adivina usted lo qué estoy haciendo? - No señor, le respondí.
Pendant son séjour à Mendoza, arriva du Chili pour passer à Buenos Aires un certain monsieur Mosquera, de Colombie, et don Antonio Arcos, ancien chef du génie de l’armée des Andes (2). Un de ces nombreux jours où je prenais mon repas avec le général, je le trouvais dans sa chambre avec une petite presse sur la table et quatre bouteilles de vin, en train d’imprimer des petits papiers comme ceux que portent les liqueurs. Au moment où je suis entré, il m’a demandé : - Petite devinette : que suis-je en train de faire, à votre avis ? - Je ne sais pas, monsieur. (Traduction @ Denise Anne Clavilier)
- Pues vea usted: Cuando invadimos a Chile en 1817, dejé en mi chacra unas cincuenta botellas de vino moscatel, de uno riquísimo que me había regalado D. José Godoy. Por supuesto que lo que menos recordaba era esto, pero ahora ha días, D. Pedro Alvíncula Moyano, que, como usted sabe, corre con la chacra, me trajo una docena de estas botellas (refiriéndose al depósito que su honradez le había conservado). Hoy tendré a la mesa a Mosquera, Arcos y a Vd., y a los postres pediré estas botellas y usted verá lo que somos los americanos, que en todo damos la preferencia al extranjero. A estas botellas de vino de Málaga, les he puesto de Mendoza, y a las de aquí, de Málaga.
- Eh bien, voyez vous-même. Quand nous avons pris possession du Chili en 1817, j’ai laissé dans ma maison de campagne quelque cinquante bouteilles de vin de Moscatel (3), un vin excellent que m’avait offert don José Godoy. Evidemment, je n’en avais plus le moindre souvenir mais il y a maintenant quelques jours, don Pedro Alvincula Moyano, qui, comme vous le savez, est le régisseur de ma chacra (4), m’a apporté une douzaine de ces bouteilles [il se référait ici au dépôt que sa droiture lui avait conservé]. Aujourd’hui, à table j’aurai Mosquera, Arcos et vous et au dessert, je demanderai ces bouteilles et vous verrez comme nous sommes, nous les Américains, qui en tout donnons la préférence à ce qui est étranger. A ces bouteilles de Málaga, j’ai mis des étiquettes de Mendoza et à celles d’ici, des étiquettes de Málaga. (Traduction @ Denise Anne Clavilier)
Efectivamente, después de la comida, San Martín pidió los vinos diciendo: “Vamos a ver si están Vds. conformes conmigo sobre la supremacía de mi Mendocino”. Se sirvió primero el de Málaga con el rótulo Mendoza. Los convidados, dijeron a lo más, que era un rico vino pero que le faltaba fragancia. En seguida, se llenaron nuevas copas con el del letrero Málaga, pero que era de Mendoza. Al momento prorrumpieron los dos diciendo: - ¡Oh! hay una inmensa diferencia, esto es exquisito, no hay punto de comparación. El general soltó la risa, y les lanzó: - Ustedes son unos pillos que se alucinan con el timbre, y en seguida les contó la trampa que había hecho.
Effectivement, après le repas, San Martín demanda les vins en disant : « Nous allons voir si vous êtes d’accord avec moi sur la suprématie de mon Mendoza. » On servit d’abord le Málaga avec l’étiquette Mendoza. Les convives dirent qu’il fallait bien reconnaître que c’était un bon vin mais qu’il lui manquait du bouquet. Aussitôt, on remplit de nouveaux verres avec le vin étiqueté Málaga mais qui était de Mendoza. Sur le champ, les deux hommes s’exclamèrent : « Oh, il y a une immense différence, celui-ci est exquis, il n’y a pas de point de comparaison. » Le général éclata de rire et leur lança : « Vous ne manquez pas de culot, vous. L’étiquette vous fait divaguer ». Et il leur raconta aussitôt le piège qu’il leur avait tendu. (Traduction @ Denise Anne Clavilier)
Les mémoires du colonel Olazabal, titrée Episodios de la Guerra de Independencia, ont été rééditées par l’Instituto Nacional Sanmartiniano en 1942 (avant la nationalisation de l’institut, dans ses toutes premières années d’existence).
(1) Il ne s’agit pas d’une maîtresse, comme certains auteurs l’affirment sans preuve, mais d’une patriote qui a beaucoup fait pour la cause de l’indépendance. C’est à cette riche patricienne que San Martín confiera ses armes au moment de quitter Mendoza pour Buenos Aires à la fin de cette même année et c’est chez elle aussi que sa fille Mercedes viendra les rechercher en 1833 pour les lui rapporter à Paris trois ans plus tard. Ces mêmes armes qui ont été léguées à l’Argentine par la petite-fille, Josefa Balcarce San Martín, à la fin de sa longue vie, dans les années 1920, et qui sont aujourd’hui réparties entre le Museo Histórico Nacional, à San Telmo, et le Museo del Regimiento de Granaderos a Caballo, à Palermo, tous les deux à Buenos Aires. (2) L’armée des Andes est celle constituée par San Martín à Mendoza, San Juan et San Luis de 1814 à 1816 pour traverser la cordillère et libérer le Chili en janvier-février 1817. (3) Célèbre vin espagnol produit à partir du cépage homonyme. Le raisin moscatel peut donner un vin sec très aromatique et un vin liquoreux. Il est probable qu’ici il s’agit de la version liquoreuse si les pratiques de table ne sont pas très éloignées des nôtres. Ce qui nous permet de tirer de la suite du récit une information fort intéressante sur le savoir-faire des vignerons mendocins dès cette époque : ils produisaient eux aussi des vins liquoreux, ce qui est normal puisqu’ils faisaient sûrement le vin de messe, dont la bouteille doit pouvoir rester ouverte pendant plusieurs jours sans que le vin tourne, et ils étaient déjà de qualité. A Mendoza, la viticulture a beaucoup évolué dans la deuxième moitié du 19e siècle, lorsque de nouveaux cépages ont été importés depuis l’Europe, surtout depuis la France, comme le célèbre Malbec qui est l’emblème des vins argentins, et que les différentes régions composant l’Argentine se sont peu à peu spécialisées : vigne et maraîchage à Mendoza, vigne à San Juan, blé et élevage bovin à Buenos Aires et Santa Fe, yerba mate et agrumes à Corrientes, yerba mate et goyave à Misiones, maïs et pommes de terre à Salta et Jujuy, élevage ovin dans les provinces du sud de la Patagonie, etc. (4) Cette incise montre le cours du temps. Il est fort peu probable que San Martín ait rappelé ce détail puisque Olazabal faisait la navette entre la chacra et la maison de Josefa Huidobro où résidait San Martín. Il savait donc parfaitement qui était cet homme mais quarante ans plus tard, il a besoin d’informer son lecteur et il le fait à l’ancienne, en complétant la citation plutôt qu’en faisant une note en bas de page, comme l’homme né en 1800 qu’il est. Alvincula Moyano est resté le régisseur de la chacra de Mendoza jusqu’à sa mort, intervenue pendant que San Martín vivait en exil à Paris. Il nous reste une partie de leur correspondance et j’en ai présenté une lettre dans San Martín par lui-même et par ses contemporains, publié aux Éditions du Jasmin.