Madelaine Delisle, soixante-dix-huit ans, en se penchant un peu trop à son balcon pour regarder les tenues portées par les passantes, tombe de sa terrasse. Le temps de sa chute, elle déroule le film de sa vie.
A quatorze ans, son père l'abandonne, suite au décès de son épouse, avec sa soeur, dans un couvent. Elle y apprendra à taire ses émotions, à se battre pour tenir psychologiquement, à nouer une belle amitié et surtout à coudre. Elle deviendra couturière et sera placée chez Mme Volladier où elle courbera la tête sur son ouvrage mais pas l'échine. Elle partage ses repas avec Léonarde, reine de la cuisine, et seconde mère. Sous sa houlette, Madelaine saura apprécier les bons petits plats, le goût et les saveurs de la cuisne, garder le regard droit, les épaules droites et un rayon de soleil, celui que les moments fugaces de bonheur construisent dans le cocon de la mémoire et des sens, pour colorer les jours sombres. Madelaine épluche les anciennes revues de mode, remisées dans le grenier par Mme Volladier. Cette dernière fut une élégante aux subtiles et splendides toilettes: lors d'une soirée peu ordinaire, le vague à l'âme de la dame fera danser devant les yeux éblouis et émerveillés de Madelaine les robes des grands couturiers parisiens, chatoyantes, aériennes, audacieuses et précieuses. Dans la tête de Madelaine, ces étoffes soyeuses, luxueuses, lumineuses, dansent jusqu'à ce qu'un jour, elle rêve d'un modèle qui n'est issu d'aucune revue de mode: elle a créé son modèle en dormant et elle le réalisera de ses mains. Ainsi commence l'ascension inattendue d'une petite main orpheline dans le monde étourdissant de la mode. Madelaine monte à Paris, elle travaille dans l'atelier de couture de Madame Germaine, les échos des audaces de Coco Chanel, de Christian Dior font venir les élégantes qui souhaitent copier les tenues haute-couture. Madelaine traverse la guerre en solitaire, comme si elle la vivait en lointaine spectatrice. Lorsque les affres de l'Occupation cessent, que reviennent les jours d'insouciance de la Libération, Madelaine virevolte dans les bras de beaux soldats jusqu'à ce qu'elle rencontre Tadeusz, au tatouage au bras, au passé douloureux qui le fait prendre la fuite à chaque Noël. Une petite fille, Lucie, arrive et Madelaine, loin de ressentir un instinct maternel, fuit son mal-être et son malaise dans le travail des collections. Pourquoi ne parvient-elle pas à aimer sa fille, à vouloir jouer avec elle, lui parler, lui faire découvrir le monde? Pourquoi un tel rejet de son rôle de mère? Pourquoi est-elle si différente des autres femmes? Les réponses seront longues à faire surface et à éclairer le chemin de Madelaine. D'ailleurs, Madelaine et Tadeusz s'éloignent peu à peu pour se perdre et se retrouver, comme dans la chanson de Jules et Jim, Lucie ne supporte plus que sa mère l'habille....elle n'est pas une simple poupée, elle est sa fille tout de même! Ne peut-elle pas l'aimer vraiment sans se cacher derrière les tissus, les aiguilles et le mètre-ruban? Madelaine, sous le poids de ses démons intérieurs auxquels elle ne peut encore donner de nom, s'isole dans le rythme effréné des créations et des collections....jusqu'au jour où elle décide de tout abandonner et de devenir une grand-mère, à défaut d'avoir été une mère. La chute de la terrasse ouvrira d'autres horizons à Madelaine et lui apportera toutes les réponses à ses questions.
"Le temps d'une chute" est un roman distrayant, transportant le lecteur au coeur d'un monde qui attire et intrigue: celui de la mode, celui des tissus aux noms évocateurs d'ailleurs chatoyants et mystérieux. Les robes, les jupes, les manteaux volent et virevoltent au rythme des époques, des chansons, des poètes, de la Nouvelle Vague, des audaces de Chanel et de Dior. Quelques phénomènes de société sont effleurés, anecdotes dans le récit (les rancoeurs des femmes endurant les privations qui s'acharnent sur de jolies jeunes filles, trop jolies pour être honnêtes?, la percée des stars de cinéma, fleurons de la dernière mode, la maigreur malsaine des mannequins que l'on porte au pinacle comme si les stylistes à la mode s'ingéniaient à martyriser le corps de la femme, à nier la féminité de la femme) qui auraient gagné à être plus développées. Tout comme le personnage de Madelaine qui ne m'a pas paru avoir été traité autrement que superficiellement: tout va trop vite, et rien n'est creusé vraiment ce qui est dommage. Madelaine est un personnage qui, certes, m'a plu mais ne m'a pas enthousiamée plus que cela. Même Tadeusz et Lucie auraient mérité un approndissement.
La quatrième de couverture indique "Roman d'initiation, du désir de donner et de la nécessité du choix": on retrouve ces ingrédients dans le roman mais sans relief, sans émotion. J'ai ressenti de la froideur, et a aucun moment je n'ai eu envie de m'identifier à un seul des personnages.
Je ne peux pas dire que je me sois ennuyée au cours de ma lecture mais, hormis quelques passages où l'imaginaire est emporté sous la houle du riche vocabulaire varié désignant les étoffes, peu de choses me resteront. Une agréable et délassante lecture d'été, vite lue, vite oubliée, au cours de laquelle le générique de l'émission "Frou-Frou" me trottait dans la tête.
J'ai aimé ces passages:
"Eté 1962. Elle n'a choisi pour cette première collection d'hiver que deux couleurs, noir et blanc, mais ses noirs sont infusés de printemps,d'été et d'automne, ses blancs irisés de givre et de soleil. De faux noirs languides, voluptueux; des blancs chauds, soyeux." (p 183)
"Robe en georgette de soie perle brodée de rosaces de cristal, capeline nuage d'ivoire. Robe d'Infante courte en organza blanc de craie, veste drapée de roses en tulle albâtre. Robe en satin de soie sculpté givre, visage voilé de dentelle crème. Dolman de flanelle blanc d'Espagne, pantalon de gabardine fileté blanc de zinc, blouse de crêpe de Chine grège." (p 187 et 188)
Roman lu dans le cadre du Prix Landerneau
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