Sa w wè a se pa sa… Ce que vous voyez là n’est pas la vérité. Cette phrase me hante depuis que je l’ai rencontrée dans le livre de Rodney Saint-Éloi. Il faut voir Haïti avec ces yeux-là. À la fois la misère et la magie, à la fois le temps et l’éternité, à la fois le passé libérateur et le présent sans issue, sauf le ciel après la route droite qui mène à l’aéroport, la seule route droite, toutes les autres soit défilant « en danse serpentée », soit dessinées en « filet de minuscules ruelles ». Il y a aussi la mer, mais certains rivages lui tournent le dos. Et puis cette île glisse… Rodney raconte Chatry, où il est né, près de Cavaillon : « Je ne sais pas, vous me corrigerez, chaque fois que mes pieds touchent cette parcelle de terre, j’ai l’impression d’être à ma place ». Haïti, ce n’est pas qu’une terre qui glisse, ce sont aussi des gens, et il les invite largement dans ce livre, amis, écrivains, peintres, Simona, Jeanine, Cacadiable, Mylène… Il dit tout, ce qui va, ce qui ne va pas, car tout est là, l’amour, le racisme, la violence, l’accueil. Le vaudou aussi, qui « ouvre une fenêtre sur la vérité, sur l’écriture chaotique du monde, sur la justice à refonder et sur les désastres humains et idéologiques ». Il cite ce point-de-vue de l’écrivain québécois Yvon Rivard, après un séjour en Haïti : « Ce que l’on peut faire pour Haïti, c’est peut-être de retrouver à son contact ce que nous ne savons pas que nous avons perdu, cette force qui vient du dénuement et dont nous aurons tous besoin, cette science élémentaire qui consiste à faire cohabiter harmonieusement les plantes, les animaux et les humains ». Chaque matin, se dire qu’on a « deux jours à vivre ». Et retour à Tida, la grand-grand-mère, celle à qui il doit le goût de la lecture, elle qui ne savait pas lire, et le goût de la poésie. Honneur… Respect…