Lo Chih-ch’eng, Les marges du rêve
Le monde s’est intellectualisé, notre expérience est presque totalement discursive, semble nous dire Lo et il faut l’accepter, pourtant le flux des événements emporte nos pensées à sa guise, nous noie quand il veut, nous assèche quand il le souhaite. Pour le poète c’est un exercice de dextérité sans équivalent que d’essayer de faire passer la poésie dans l’analyse et l’analyse dans la poésie. C’est le mouvement, celui de la phrase, celui de la pensée qui nous emporte, sert de lien et va vers les sensations qui se trouvent entraînées. Mots et choses ne font pas que soulever la poussière, ils et elles rayonnent.
Cependant, le maître mot de ce recueil est sans aucun doute « rêve ». Dans la culture chinoise, il a un rôle essentiel, dont on n’a pas encore assez pris la mesure. On y trouve tout : liberté, amour, philosophie, science, humour, oisiveté…, tout ce que l’on cherche ailleurs, y est condensé, retenu. Lo ne s’y est pas trompé, et il déploie son sens et sa portée dans le monde contemporain qui est le sien, celui d’une « île-terre ».
Poèmes sans ponctuation, dans un long déroulé sans pause qui s’enchaîne selon une logique imparable et imaginaire. Lo écrit une poésie de la rationalité sachant qu’elle n’existe pas, fasciné par elle comme par une étoile de grande magnitude.
Camille Loivier
Lo Chih-ch’eng, Les marges du rêve, traduit du mandarin (Taïwan) par Alain Leroux, Editions Circé, 2020, 115p. 12€
Extrait :
Période bleue
X
Dans le rêve ensommeillé
Nous sommes enterrés
Nous devenons cette part la plus amère
De la lumière que nous partageons
Sur ce bout de terre
Ces souvenirs doux amers entrecroisés
Peut-être
Réapparaîtront-ils dans la mémoire de quelqu’un d’autre
(p. 68)
NDLR : Lo Chih-ch'eng fait partie de la génération de poètes taïwanais qui est née et a grandi à Taïwan après la guerre. Il a publié son premier recueil en 1975, alors qu'il était encore étudiant de philosophie. C'est une figure marquante de la scène poétique taïwanaise.