Six lits d’hôpitaux pour mille habitants (huit en Allemagne). Ce sont les chiffres de 2017. Contre onze pour mille en 1980. Au total, ce sont près de 70 000 lits qui ont été supprimés en quinze ans et 8,6 milliards d’euros d’économies qui ont été demandés aux hôpitaux (et 1 milliard de compressions supplémentaire dans le dernier budget de la sécurité sociale). Entre 2013 et 2017, c’est près d’un dixième des établissements publics de santé qui a disparu au fil des fermetures et restructurations. Après ça, certains osent parler de « pleurnicherie hospitalière »…
C’est indécent et stupide. Ou alors j’en suis : je suis à nouveau intervenu hier pour demander des comptes à l’Agence régionale de santé sur l’utilisation de masques périmés.
Il faut investir dans la santé, investir dans l’humain ; il faut en finir avec l’hôpital entreprise, en finir avec la marchandisation des soins. Nous avons donc besoin d’un service public hospitalier fort. Dès avant la crise du coronavirus, certains hôpitaux se trouvaient en pénurie de matériel faute de moyens. Dès avant la crise, nous étions frappés de pénurie de médicaments. Dès avant la crise les inégalités face à la santé prospéraient.
Il y a de quoi s’inquiéter quand on voit que dans certains départements, l’Agence régionale de santé appelle des associations de personnes en situation de handicap pour leur dire qu’elle a des masques à disposition pour elles mais que le service public n’est pas en capacité de les distribuer. Voici donc les bénévoles partis pour en assurer la gestion logistique, d’après le récit qui m’a été fait par un ami responsable dans un gros département… On sent quand même des pouvoirs publics dépassés au niveau de l’État. À tel point qu’une préfète s’autorise, ou est autorisée, à réquisitionner les masques commandés par une collectivité, notre département pour les établissements médico-sociaux qui sont sous sa responsabilité. Sans même un coup de fil. L’État lui-même n’est-il pas en mesure de faire arriver ses commandes ? Et n’est-il pas capable de réguler en bonne intelligence plutôt que de jouer au chat et à la souris ? Hallucinant ! La décision de mon groupe d’actionner son droit de tirage sur une commission d’enquête concernant la gestion de la crise sanitaire rencontre de multiples justifications…
« Prévenir des événements comme une pandémie n’est pas rentable à court terme, écrit cette semaine l’économiste Gaël Giraud dans une tribune sur le site Reporterre. Nous ne nous sommes donc prémunis ni en masques ni en capacité de procéder à des tests massifs, là où Séoul et Taïpei l’on fait. Et nous avons réduit à l’étiage nos capacités hospitalières au nom d’une idéologie de destruction du service public qui montre, à présent, ce qu’elle est : une idéologie qui tue. » Et pourtant, tout ça coûtait trop cher, il fallait « maîtriser les dépenses de santé », rompre avec les modèles du passé. « Impossible d’entretenir la fiction anthropologique de l’individualisme véhiculée par l’économie néolibérale, ajoute Gaël Giraud, et les politiques de démantèlement du service public qui l’ont accompagnée depuis quarante ans. » Impossible, mais le pouvoir a-t-il vraiment prévu d’y renoncer ?
version longue du texte sur pierredharreville.fr