La problématique de la résilience est encore un sujet très peu pris en compte par les principaux acteurs de la vie de ce pays à l’exception des structures spécialisées notamment en matière de protection civile ou de risques majeurs NRBC, telle que la compagnie spécialisée des Pompiers de Paris. L’Ecole de Guerre Economique a lancé depuis deux ans un programme dédié à l’anticipation des risques : le programme Segor. Mais force est de constater que les interlocuteurs publics ou privés ne se sont pas vraiment sentis concernés. Et il n’est pas certain que la crise du covid-19 accroisse leur niveau de motivation. La question est plus profonde. Elle est d’ordre à la fois culturelle et organisationnelle. Sur un plan culturel, il est très difficile de faire comprendre aux gens concernés que l’appréhension du danger n’est pas synonyme d’improvisation. La mémoire opérationnelle (concept important en intelligence économique) est encore à construire. De la grippe espagnole de 1918 à la grippe asiatique de 1968, quels enseignements avaient été tirés ? A l’heure du savoir faire numérique, la connaissance des faits se limite encore à l’instantanéité de l’information. Le pouvoir politique a découvert cet état de fait. Et le fonctionnement de l’organisation de l’appareil d’Etat a été une véritable leçon de choses pour faire le point sur nos dysfonctionnements récurrents. C’est ce qui a conduit Emmanuel Macron à recourir à une dialectique métaphorique de la guerre. Pour tenter de sortir de « l’exode » perpétuel devant le danger, il fallait marquer les esprits. La démarche fut ardue et souvent caricaturée.
La guerre en slogan
Le 16 Mars 2020, l’allocution du président de la république, intervient quelques jours après l’annonce du passage au stade 3 de l’épidémie de SARS Covid-2 en France le 12 mars 2020. . Ce discours intervenant quelques jours après avoir fermés les écoles, lycées et universités, le chef de l’état à réuni un conseil de scientifiques, a maintenu, la veille, les élections municipales le 15 mars 2020, puis finalement repoussé le second tour du scrutin sur recommandation d’un conseil sanitaire, au mois de juin 2020. A ce moment, la France compte plusieurs milliers de cas confirmés et 148 décès parmi la population.
Lors de ce discours, Emmanuel Macron, prononcera 7 fois le mot « guerre », mais jamais le mot « confinement ».Il semble que l’objectif de cette intervention télévisée, soit de capter l’attention du plus large public, de mobiliser et rallier sous la même bannière les convaincus et les indécis, contre un « ennemi invisible », qui, il y a quelques semaines, n’était considéré que comme un « épiphénomène asiatique », il nous invite à « nous battre » et à «nous hisser» en mettant entre parenthèses nos droits fondamentaux, notre liberté de circuler, sauf à assurer la continuité de l’activité de la nation.
Dans le domaine de la gestion de la crise sanitaire ou militaire, la France semble avoir changé son fusil d’épaule au fil des jours et des mauvaises nouvelles, arrivant des autres pays massivement touchés en général et de l’Italie en particulier.
Quelle est la stratégie française ? On constatera que les responsables politiques, ainsi que les autorités sanitaires ayant subi un « choc » concernant la gravité de cette maladie, auront les plus grandes difficultés à convaincre les Français que la situation est sous contrôle, que la seule stratégie viable s’est inventée et développée au fil des jours et des semaines avec la démonstration flagrante d’une défense fragile et une offensive tardive.
Sur l’ennemi invisible
Cet ennemi qualifié « d’invisible » par le chef de l’Etat lundi soir, est pourtant présent partout et sur de nombreux continents, alors est-il vraiment inconnu ? Non, il ne l’est pas, puisque cet ennemi a formé des répliques de lui-même depuis de nombreuses années, sans vraiment fragiliser l’équilibre économique de la planète mais en causant des pertes humaines et des dégâts financiers suffisants pour qu’on s’interroge et qu’on anticipe le prochain désastre.
On l’a appelé SARS en 2003, H1N1 en 2009, MERS en 2012…il est revenu sous le nom de SARS COVID 2. Tous ces virus prennent leur origine dans la gestion désastreuse du manque de contrôle sanitaire et alimentaire en Chine, à l’exception du MERS qui est originaire du Moyen Orient, c’est pourtant le même modus operandi, à savoir la transmission de l’animal à l’homme, souvent dans le cadre de trafics d’animaux sauvages, peu de contrôle et un « laisser faire » concernant des espèces protégées.
Le paradoxe de l’approche guerrière
En temps de guerre, chaque homme apte au service militaire, est mobilisé, équipé et affecté à un corps d’armée. Dans « l’art de la guerre » de Sun Tzu, chaque chef ne peut ignorer ces 5 règles : la vertu, le climat, la topographie, le commandement, l’organisation, si il veut mener les batailles et les gagner.
Depuis le début de la crise sanitaire lié au Covid 19 en France, on attribue au corps médical la charge de combattre dans une guerre totale avec des forces minimales. Les divers acteurs de la gestion de la santé sur le territoire, semblent découvrir l’étendue des négligences et l’absence de « plan » de défense. Très rapidement, vont surgir les manques, les pénuries, (pénuries de masques, de gel hydroalcoolique, respirateurs pour les services de réanimation…) et vont se soulever les questions et polémiques sur les choix économiques du pays notamment en matière industrielle, alimentaire, pharmaceutique et technologique.
Se dévoile notre dépendance en approvisionnement étrangers, une guerre de l’information méthodologique en continu sur les écrans et la presse écrite qui se veut transparente, mais se contredit sans cesse (informations divergentes sur les protocoles, les gestes de protection, l’utilité des masques…).
L’adhésion des populations est sollicitée dans son civisme et sa solidarité avec la promesse de la protection de l’État-providence à condition de rester des consommateurs, des travailleurs et des électeurs car il s’agit de préparer, d’ores et déjà « l’après » de la « paralysie économique » à une prochaine suractivité « post traumatique ».
Il faudra « compenser » le désastre économique annoncé. L’abandon de la réforme des retraites, le « gel » de la durée légale du temps de travail, la nationalisation peut-être de grandes entreprises françaises, l’injection massive de capitaux publics dans l’économie seront autant de « tranquillisants » à faire accepter le confinement durable des personnes.Le discours du président français utilise une symbolique guerrière, la fonction de cette rhétorique est mobilisatrice, cathartique. Mais l’analyse de la situation sanitaire et de sa gestion politique révèle les paradoxes de cette approche.
Le paradoxe de la décision
Impossibilité de séparer conceptuellement l’ennemi de la population, le Covid 19 transforme chacun et chacune en agent ennemi potentiellement contaminé et contaminant. Dès lors se pose la question des décisions rationnelles dans un contexte de très forte médiatisation. La détermination du « diagnostic » par sélection prioritaire, nécessitera la formation d’un comité scientifique afin de s’armer de l’activité cognitive des experts membres de ce conseil créé le 10 Mars 2020 par le premier ministre Edouard Philippe.
La difficulté conceptuelle caractériser ce virus planétaire, pourtant nécessaire pour élaborer une stratégie de combat, sera à l’origine de « polémiques » et probablement de mise en place de futures commissions d’enquêtes visant certains anciens responsables politiques sur la gestion des stocks nationaux des outils de protection publiques.
Le nécessaire emploi du registre symbolique militaire est pertinent pour provoquer la réaction nationale et faire face à la pandémie, car la crise de confiance de la parole publique est rampante mais déterminante dans le maintien même de la sécurité du pays dans ses fondements et sa survie. Le Covid 19 brise les concepts de la stratégie militaire tout en révélant des enjeux économiques et politique qui contraignent cette réaction nationale à l’intérieur du cadre de la démocratie libérale.
Dès lors se pose le problème de redéfinir et caractériser le concept de guerre face à un ennemi invisible, insidieux, informe. Sans oublier qu’il existe un pays à l’origine de cette pandémie à répétition : la Chine. Et qu’il faudra aussi un jour se pencher sur la dangerosité d’une puissance, symbolisée pour la circonstance par un régime communiste, qui n’a pas su depuis 17 ans (début de l’épisode du SARS) prendre les bonnes décisions ou qui ne sait toujours pas gérer ses contradictions internes.
Hadia Privat
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