Le coût de la crise s’annonce faramineux, puisqu’un mois de confinement coûterait environ 60 milliards d’euros à l’économie. Au lendemain du krach de 2008, c’est le peuple qui était passé à la caisse. Un scénario à éviter à tout prix.
Un appel aux dons pour sauver la patrie en danger. La proposition, sitôt lancée par le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, s’est fait tailler en pièces par l’ensemble de la gauche. « Darmanin fait la manche au lieu de rétablir l’ISF », tacle Jean-Luc Mélenchon (FI), tandis que le PCF réclame « de la solidarité plutôt que la charité » et qu’Europe Écologie-les Verts part en guerre contre les « cadeaux faits aux plus riches ». La plateforme gouvernementale visant à collecter les dons devait être mise en ligne en ce début de semaine, pour permettre à ceux qui le souhaitent de contribuer. Cette manne doit servir à aider les très petites entreprises. Il n’est pas dit que les généreux donateurs se bousculent au portillon… Ni d’ailleurs que ce soit le but recherché : « L’objectif est moins économique que politique, juge Michel Husson, économiste et ancien administrateur de l’Insee. Il s’agit de créer un effet d’union nationale, sur le mode : “Nous sommes tous dans le même bateau, donc tout le monde doit participer.” Je ne pense pas que le gouvernement s’attende à ramasser des milliards… »
Le montant de l’ardoise s’annonce pourtant colossal. Selon les estimations de l’OFCE, chaque mois de confinement coûterait 60 milliards d’euros au pays, une fois pris en compte l’ensemble des effets économiques, baisse de la demande et de l’investissement, effondrement de l’activité dans de nombreux secteurs, etc.
« Une chute d’activité de 60 milliards en un mois, c’est du jamais-vu depuis 1945, souligne Éric Heyer, économiste à l’OFCE. Nous sommes sur des rythmes trois fois supérieurs à ceux de la crise de 2008. Lors des crises financières, les gens continuent de consommer, les magasins restent ouverts… Ce n’est pas le cas aujourd’hui. »
Le PCF appelle à créer un « fonds d’urgence sanitaire »
D’où cette question lancinante : qui, des entreprises ou des ménages, devra payer la note ? À court terme, économistes et responsables syndicaux voudraient mettre à contribution ceux qui en ont les moyens. « Une taxe exceptionnelle sur les hauts patrimoines pourrait rapporter entre 4 et 5 milliards d’euros, estime Vincent Drezet, de Solidaires finances publiques. Il suffirait d’une loi de finances rectificative pour la mettre en œuvre. »
Pour reprendre la rhétorique martiale du chef de l’État, les grandes entreprises pourraient elles aussi participer à l’ « effort de guerre ». Pour l’instant, les assureurs ont consenti à verser 200 millions d’euros au fonds de solidarité censé venir en aide aux petites entreprises, mais certains exigent qu’ils fassent davantage, au vu de leurs énormes profits. Axa, par exemple, s’apprêtait à verser 3,4 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires au titre de 2019. « Nous considérons que l’état de catastrophe sanitaire devrait ouvrir les mêmes droits que l’état de catastrophe naturelle, explique Jean-Philippe Gasparotto, secrétaire général de la CGT Caisse des dépôts. Les assurances devraient indemniser les salariés. Et CNP Assurances, premier assureur public du pays, devrait jouer un rôle moteur dans ce processus. »
Le PCF appelle de son côté à créer un « fonds d’urgence sanitaire », alimenté par une contribution des grands groupes, des banques et des compagnies d’assurances, ainsi que par le rétablissement de l’impôt sur la fortune. Il réclame par ailleurs la mise en place d’un programme de prêts à taux négatif consentis par la Caisse des dépôts, pour investir massivement dans les hôpitaux (embauches, formation, achat d’équipements…) « La Caisse des dépôts étant un établissement de crédit, elle pourrait emprunter directement auprès de la Banque centrale européenne », observe l’économiste Denis Durand.
Pour une réforme fiscale ambitieuse
En attendant, il est évident que c’est à l’État de prendre en charge le gros de la facture, d’autant qu’emprunter sur les marchés financiers ne lui coûte pratiquement rien. Actuellement, les taux d’emprunt à dix ans de la France sont de 0,05 %. Toute la question est de savoir ce qu’on fera, ensuite, des monceaux de dette publique supplémentaire générés par la crise. « Il ne faut surtout pas reproduire l’erreur de 2010, prévient Éric Heyer. À l’époque, les pays européens s’étaient lancés dans des politiques d’austérité massives pour réduire à tout prix les déficits nés de la crise. Si la France emprunte à nouveau cette voie, cela provoquerait une deuxième vague de récession. »
Une partie de la solution se situe probablement en Europe. Mais, à gauche, des voix s’élèvent pour mener à bien une réforme fiscale ambitieuse, qui permette de réduire les inégalités et de dégager des recettes supplémentaires.
Là encore, les idées ne manquent pas. Le PCF et la France insoumise militent notamment pour une réduction sensible de la TVA, une progressivité accrue de l’impôt sur le revenu (augmentation du nombre de tranches, hausse des taux pour les plus aisés) et une refonte de l’impôt sur les sociétés. Autant de propositions qui ont peu de chance de trouver grâce auprès du pouvoir en place. Ce dernier a d’ailleurs exclu toute réforme fiscale d’ampleur.
Cyprien Boganda