Santé. Un long article sur le thème « À quand un traitement contre le coronavirus ? »

Publié le 06 avril 2020 par Particommuniste34200

À la recherche du remède, l’Inserm a lancé une vingtaine d’essais cliniques, dont les premiers résultats pourraient être bientôt divulgués. Les défenseurs de la chloroquine dénoncent des stratégies douteuses et une perte de temps fatale à de nombreux malades.

La quête du remède est lancée. Alors qu’une quarantaine de laboratoires dans le monde se livrent à la course au vaccin, l’urgence est au soin des malades. Quel traitement est le mieux adapté aux différents stades de la maladie ? Pour le savoir, près de 200 essais cliniques, sur des dizaines de médicaments différents, sont en cours. Une vingtaine, en France, sont coordonnés par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et le consortium REACting, avec le soutien des ministères de la Recherche et de la Santé.

Lancée il y a deux semaines, l’étude ­Discovery suscite beaucoup d’espoirs de la part des autorités publiques. Son protocole consiste à comparer la prise en charge « classique » des patients souffrant du ­Covid-19 (ventilation, oxygénation…) à quatre autres approches thérapeutiques, pour déterminer quelle est la plus efficace. Sont ainsi testés le remdésivir (traitement mis au point pour combattre Ebola), le kaletra (qui regroupe deux molécules, le lopinavir et le ritonavir, déjà associées pour lutter contre le sida), le kaletra associé à une protéine (l’interféron bêta) et l’hydroxychloroquine.

Discovery, une étude de grande ampleur qui fait débat

En plus du volet français, placé sous l’égide de la chercheuse en infectiologie Florence Ader et financé par le ministère de la Santé, l’étude s’étend sur six autres pays (la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne, l’Allemagne, le Luxembourg et le Royaume-Uni) et devrait concerner jusqu’à 3 200 patients, dont 800 en France. Des premiers résultats pourraient être dévoilés dans les prochaines heures afin d’écarter les traitements dont l’inefficacité serait claire. L’ensemble des données obtenues seront partagées avec l’essai international Solidarity, coordonné par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Les premiers résultats arriveront vite, mais les définitifs devront attendre, car nous devons être précis, surtout si on doit annoncer des résultats concernant une molécule qui a fait beaucoup de bruit », précise Hervé Chneiweiss, neurologue, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

La molécule en question, c’est la chloroquine – ou plus précisément son dérivé, l’hydroxychloroquine (HCQ) –, au cœur de tous les débats et controverses autour de ces essais depuis que le Pr Didier Raoult a assuré en avoir prouvé l’efficacité. Deux essais, sur 24 puis 80 patients, publiés en mars suffiraient à considérer l’HCQ (associée à un antibiotique, l’azithromycine) comme efficace pour traiter les malades, au moins dans les premiers jours de l’infection, selon l’équipe de l’Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille (IHU). Ce que conteste une partie de la communauté scientifique pour qui l’étude ne serait pas assez rigoureuse et n’intégrerait pas suffisamment de patients, d’autant que le risque d’effets secondaires serait important.

Dans les jours qui ont suivi les premiers résultats de Didier Raoult, le Haut Conseil de santé, l’Inserm, ainsi que le gouvernement français ont d’abord appelé à la prudence et à la nécessité de réaliser une étude de plus grande ampleur, selon des méthodologies plus rigoureuses. Pourtant, il faudra attendre la veille du lancement des essais de l’Inserm pour que l’HCQ soit intégrée in extremis à son étude phare, Discovery.

L’Inserm recherche des méthodes « pour les formes sévères »

« Sous la pression, ils ont été obligés de l’intégrer à leur protocole, mais sans consacrer à l’hydroxychloroquine des essais propres qui auraient pu prouver rapidement l’efficacité ou non de la molécule. Ces chercheurs ne croient pas à la chloroquine », dénonce le professeur Christian Perronne. Chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital de Garches, il a refusé de participer à l’étude Discovery, qu’il juge éthiquement et scientifiquement « malhonnête » pour plusieurs raisons. La première est de réserver ces essais aux patients atteints de formes sévères. « Le protocole indique que le produit peut être donné seulement si la saturation en oxygène des patients est inférieure à 95 %, détaille Christian Perronne. Mais à ce stade, la charge virale est très faible, il est donc trop tard pour prescrire des antiviraux. Et le kaletra et l’HCQ sont des antiviraux… » À l’Inserm, on assume ce choix : « L’urgence était d’abord de trouver des stratégies pour des formes graves ou potentiellement graves », explique Hervé Chneiweiss.

Selon les dernières informations, la maladie comporterait plusieurs formes : 80 % des patients ne seraient atteints que de formes légères ou modérées (fièvre, toux, pertes du goût et de l’odorat, difficultés respiratoires). Au bout d’une semaine environ, 15 % des malades souffrent d’une forme sévère nécessitant une hospitalisation. Enfin, 5 % déclenchent une inflammation grave et incontrôlable, nécessitant un transfert en réanimation. La charge virale disparaîtrait pendant la phase dite sévère ou au moment du passage en forme grave, d’où la nécessité, selon les infectiologues Christian Perronne et Didier Raoult, d’agir dans les premiers jours de l’infection.

« Nous allons être le dernier pays à pouvoir prescrire la chloroquine »

Un constat qui n’est pas incompatible avec l’étude Discovery, selon Hervé Chneiweiss : « Les essais in vitro, qui ont été réalisés par plusieurs chercheurs, notamment en Chine, ont montré que les molécules choisies diminuaient la capacité du virus à infecter les cellules. Didier Raoult préconise l’hydroxychloroquine pour les formes légères ou modérées, mais sans savoir si les patients en question auraient subi des formes plus graves. De plus, rien ne nous dit que ça ne fonctionnera pas pour les patients atteints de formes sévères, qui sont notre priorité. » En clair, il n’est pas exclu que l’HCQ fonctionne également quelque temps avant un éventuel passage en forme grave, ce que tenteront de prouver les chercheurs de l’étude Discovery.

« On sait que ça ne fonctionne pas pour les formes graves. Et qu’a fait le ministre de la Santé ? Autorisé la prescription de la chloroquine uniquement pour les formes graves, en hospitalisation », déplore Gérard Bapt, médecin cardiologue et député PS, en référence au décret d’Olivier Véran publié le 23 mars.

Gérard Bapt a publié, samedi, une lettre ouverte au président de la République, cosignée par 65 médecins, afin de demander « d’étendre à la médecine de ville l’autorisation de prescrire l’hydroxychloroquine. Revenir sur la liberté de prescription de ce médicament, alors qu’il était en vente libre il y a quelques mois encore, ça dépasse l’entendement, s’étonne le député. En Italie, les médecins de ville la prescrivent depuis quinze jours. Aux États-Unis, on commence à l’autoriser. Nous allons être le dernier pays au monde à pouvoir prescrire la chloroquine… » La lettre de Gérard Bapt a été publiée quelques heures après celle de la pétition « Ne perdons plus de temps », lancée par l’ancien ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, et une dizaine de médecins, afin d’assouplir les modalités de prescription du fameux médicament. La pétition a recueilli plus de 165 000 signatures en moins de 48 heures. Jusque-là, les autorités de santé et le gouvernement restent inflexibles sur la nécessité d’obtenir une étude plus importante et rigoureuse pour autoriser plus largement la prescription de l’HCQ, d’où l’incompréhension de certains concernant la stratégie de l’Inserm et l’étude Discovery.

« Méthodologie stricte » et « perversion scientifique »

C’est finalement le CHU d’Angers qui a pris les devants, en lançant, le 31 mars, des essais cliniques sur l’hydroxychloroquine qui portent sur 1 300 patients à travers 32 hôpitaux de France. L’Inserm n’en est pas à l’origine, mais « le P r Vincent Dubée, qui coordonne les essais, est affilié à un laboratoire » de l’institution publique, précise-t-on. L’étude, nommée Hycovid, est réalisée sur des malades en phase précoce « qui ne sont pas sous oxygène mais dont on sait qu’ils sont à risque d’aggravation », indique le Pr Vincent Dubée. Là aussi, des premiers résultats pourraient être communiqués au bout de deux semaines, mais il pourrait être nécessaire d’attendre quatre semaines de plus. « Il faut que des études soient faites, c’est important, mais on ne peut pas attendre avant d’agir, regrette Gérard Bapt. Il y a des gens qui meurent et on se focalise sur des méthodologies très strictes ou d’éventuels effets secondaires, alors que depuis des décennies, on le prescrit pour prévenir le paludisme ou soigner des maladies inflammatoires… » Reste que les doses quotidiennes appliquées en prévention du paludisme ou pour les maladies inflammatoires sont bien inférieures (100 mg) à celles préconisées pour traiter le Covid-19 (600 mg environ), ce qui pourrait amplifier les effets secondaires et les risques d’arythmie cardiaque.

Cette étude Hycovid, qui porte exclusivement sur l’hydroxychloroquine, ne satisfait pas non plus les défenseurs de la chloroquine car, comme c’est le cas avec Discovery, l’HCQ n’est pas associée à l’antibiotique azithromycine, comme le préconise la « méthode Raoult ». Pour Vincent Dubée et Hervé Chneiweiss, l’azithromycine, comme l’hydroxychloroquine, présente des risques de cardiotoxicité. Ils ont donc voulu jouer la prudence. « Mais, encore une fois, on cherche à disqualifier la chloroquine sans réaliser des essais honnêtes, dénonce le Pr Christian Perronne. Ce n’est pas pour rien que l’azithromycine a été ajoutée au protocole, car elle permet de protéger des complications bactériennes, c’est donc l’association des deux qui fonctionne. »

L’infectiologue regrette enfin que ces essais Hycovid soient « randomisés », c’est-à-dire que les patients soient répartis au hasard dans le groupe « sans traitement » ou dans le groupe « hydroxychloroquine », conformément à ce que préconisent l’OMS ou l’Inserm. « C’est de la perversion scientifique ! s’emporte-t-il. La “randomisation”, c’est la roulette russe et une condamnation à mort pour certains malades, et cela fait perdre du temps, ce n’est pas éthique. Les chercheurs, qui ne sont pas en contact avec des malades, ont érigé cette méthodologie comme norme. Ce sont les patients qui en pâtissent. »

Florent Le Du

06 avril 2020