À l’heure où la terre cessera d’être
tu seras assis sous un platane à moitié dépouillé
dans une avenue animée et bruyante
rien autour de toi n’aura vraiment changé
tu resteras le père, le fils et l’amant
un rêve te tracassera comme un reste de nourriture coincé entre deux dents
tu continueras d’observer les enfants, les cyclistes et les chiens
à te demander ce qu’est l’amour
si tu l’as trouvé, perdu ou constamment éludé
à essayer de déchiffrer des signes qui n’en sont peut-être pas
à examiner des souvenirs avec l’attention de l’entomologiste
penché sur son insecte
et qui ne voit plus que des surfaces réticulaires
oubliant la créature trouvée au milieu d’un parc noyé de brume
tu songeras aux fruits de saison et à acheter de nouvelles chaussures
à une page lue quelques heures plus tôt dans ton bain
aux carreaux de l’immeuble voisin comme éclairés par un incendie
que tu as longuement observés la veille avant de te coucher
à l’heure où la terre cessera d’être
tu feras des calculs tu passeras en revue des hypothèses
mille fois formulées
tu battras le rappel de toutes les solutions
tu te lèveras tu écarteras distraitement du pied deux ou trois feuilles
tu t’éloigneras vers le néant
le dos tourné au néant
si vivant
*
Alive
At the hour when the world ceases to be
you will be sitting under a plane-tree half unleafed
on a lively, noisy avenue
nothing around you will have really changed
you will still be father, son and lover
a dream will nag you like a bit of food lodged between two teeth
you will go on watching children, cyclists, dogs
asking yourself what love is
if you found it, lost it, or if it always escaped you
examining memories attentively
with an entomologist’s precision, who, bent over an insect,
now sees only reticular surfaces
forgetting the creature caught in a fog-drowned park
you will think of the fruits in season, of buying a new pair of shoes
of the page you read this morning in the bathtub
of the windowpanes next door lit up as if on fire
which you watched for a long time last night before going to bed
at the hour when the world ceases to be
you’ll do sums, review hypotheses
formulated a thousand times
summon up the solutions
then you’ll get up, distractedly push two or three leaves aside with your foot
you’ll move away towards nothingness
your back turned on nothingness
so alive
***
Emmanuel Moses (né en 1959 à Casablanca) – D’un perpétuel hiver (Gallimard, 2009) – Translated by Marilyn Hacker – First published on Poetry International, 2013.