Par
exemple, le dimanche sur France 5, tu vois un documentaire sur des
squelettes de dinosaures.
Le dimanche c'est journée squelette sur
France 5.
Ou météore.
On voit un type, un russe souvent, qui se
promenait dans la toundra par hasard à un moment donné, peut-être
la balade du dimanche dans la toundra après le repas on sait pas, il
se balade et son pied bute contre un objet, il ne sait pas ce dont il
s'agit, mais il le déterre parce qu'il trouve que déterré ça fait
moins enterré d'une part, et par esprit de curiosité sans doute il
l'exhume du sol, donc.
Il s'aperçoit que c'est en fait un os de dix
centimètres de long.
Persuadé d'avoir découvert quelque chose
d'extraordinaire, il enfourche son vélo, parce qu'il se baladait en
vélo, et revient à toute berzingue au village où l'attend une
équipe de spécialistes des os qu'on retrouve en se promenant dans
la toundra à vélo.
Le gars leur fait part de sa découverte tout
excité, leur propose de leur montrer l'endroit exact contre une
bouteille de vodka, et tous s'équipent et montent dans une petite
colonne de véhicules à chenilles dont le moteur chauffait en
attendant, en fait on se demande si c'est pas un peu préparé comme
documentaire.
Après
un petit périple de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres,
loin de tout, ils arrivent sur le lieu de la trouvaille, mais il est
tard alors ils montent un campement de base et prennent un repas en
buvant de la vodka et en chantant des chansons russes très tristes avec un accordéon et après ils vont se coucher complètement torchés, c'est des
russes c'est pour ça.
Le
lendemain matin, le soleil se lève sur la toundra, on distingue
enfin le paysage, il n'y a rien sur des centaines de kilomètres à
la ronde, c'est la toundra quoi, y a des mousses et du lichen, bon
c'est déjà bien, faut bien la remplir la toundra et le lichen
c'est pas cher comme revêtement de toundra, c'est moins cher que le
lino.
Je sais j'ai vu le prix du lino chez But.
Là le gars montre aux scientifiques en anorak le lieu où il a
trouvé le fossile, mais en moins de trente secondes on s'aperçoit
qu'il y a là un squelette de faisan qui s'est fait bouffer la veille
ou l'avant-veille par un renard de la toundra, et que le fossile est
en fait un pilon de faisan de la toundra, d'où quiproquo.
Les
scientifiques à chapka pittoresque en poil de martre mordorée
d'Ekaterinbourg sont dépités et énervés.
Comme tout le monde a
petit-déjeuné à la vodka et qu'ils sont déjà tous pompettes, ils
commencent à se foutre sur le trognon, ça dégénère.
Bon ça se
bourre à coups de poings, ça envoie du pâté, mais au moins ça
réchauffe.
Jusqu'à ce qu'un des protagonistes tombe au sol et se
cogne la tête sur quelque chose de dur.
Il a une grosse bobiche et
on lui soigne à la vodka.
C'est alors qu'on remarque que ce sur quoi
s'est bobiné le gars et qui émerge du sol est bien étrange.
On
entreprend d'y regarder de plus près, on le déterre.
C'est
un fémur de dix-huit mètres de long.
Soit
c'est un très gros faisan de la toundra, soit c'est autre chose, se
disent les scientifiques à bottes en fourrure de loup bigarré de
Sverdlovsk.
En prospectant un peu à l'entour, ils découvrent
d'autres vestiges qui émergent, découvrent les restes d'un crâne
de quatre mètres d'envergure, quatre mètres, à peu près de là à
là, bon j'exagère, de là à là.
Après un rapide passage en revue
de leurs connaissances, on en déduit qu'il ne peut s'agir d'un
faisan de la toundra, tout bien considéré, même dopé à mort aux
stéroïdes.
Après j'ai pas suivi, je me suis endormi.
Y a des docs
bizarres sur France 5.
Ce
récit palpitant n'est donc pas un ouvrage sur la préhistoire disais-je, et on
peut le déplorer, à certains égards.
Et pas à d'autres, ça
dépend des égards qu'on préfère, j'oblige personne à rien, c'est
ça qu'est bien avec ce récit, c'est qu'on n'est même pas forcé de
le lire, on peut s'en
passer d'ailleurs, le monde ne s'arrêtera pas de tourner pour autant
rassurez-vous, on peut juste s'en servir pour caler un meuble si on
veut, on peut arracher les pages, après les avoir imprimées, et se les fourrer dans le nez si on
saigne du nez, les mettre dans le fond de la cage du lapin car, grâce
à leur haut pouvoir absorbant et à leur composition spécifique qui
neutralise les odeurs, elle sont un allié indispensable à l'hygiène
du lapin.
Le
livre ne doit pas seulement être un bel objet, s'il est utile par
ailleurs, c'est un plus.
Mon éditeur, car j'ai trouvé un éditeur compatissant, m'a dit, sans détour:
-Il
faut que tu te demandes à quoi va servir ton livre, concrètement,
pour le lecteur. C'est un projet global et prenant tu sais, tu dois
avoir une vision claire de ton travail avec un objectif tangible, un
propos clair et une construction linéaire parfaite.
-Ah
zut, j'avais pas pensé à ça. Tu es sûr? Je veux bien te croire
après tout, tu n'as pas l'air d'être plus incompétent qu'un autre.
Alors concrètement? Un objectif global et prenant? Une vision
linéaire parfaite tu dis? Allons bon. Eh bien écoute...mmmm... mon
livre, alors je parle concrètement concrètement hein...concrètement
donc, mon livre...concrètement parlant...on peut envisager, au
pire...qu'il puisse servir...mmmm...à l'hygiène du lapin, imprimé
sur du papier buvard, pour rendre service aux gens, c'est plus
hygiénique que le foin comme litière.
-Attends
attends attends...figure-toi que là tout de suite, je me demande si
l'on n'est pas en train de se fourvoyer complètement et si tu es de
taille pour ce projet...
-Si
je suis de taille? Elle est bonne celle-là! Il me demande si je suis
de taille! Un grand gaillard comme moi! Tiens regarde, et debout comme ça, tu en penses quoi? Je
suis pas de taille là? Je suis même plus haut que toi, oui mais
toi tu triches, tu es assis! »
À suivre...