Quatre extraits de « j’entends des voix » précédé de « j’ai un métier vachement cool », de julien boutreux

J’ai un métier vachement cool
je suis chargé par le conseil départemental
d’accueillir les extra-terrestres
chargé de mission
de la fonction publique territoriale
c’est sur concours ce job
je dois laisser des messages de bienvenue
aux aliens
pas besoin de beaucoup me déplacer
d’aller dans des endroits particuliers
puisqu’on ne sait jamais où ils vont atterrir
ça peut être n’importe où
alors en attendant
je compose mes messages à leur intention
inutile de leur dire des choses très compliquées
vu qu’on ne sait pas ce qu’ils comprennent
ni ce qu’ils pensent
ce qu’ils parlent
ce qu’ils lisent
comme langue
si c’est une langue qu’ils ont
alors je fais simple
je fais bref
pour ces messages
que je rédige
que je laisse
un peu partout
en général pas trop loin de chez moi
parce que les indemnités kilométriques sont un peu bidon
pour bien faire il faudrait des années-lumière des parsecs
comme unités de distance
surtout
il faut savoir attendre
observer
réfléchir à ce qu’on va dire
s’impliquer mine de rien
c’est du boulot
 
.
J’ai un métier vachement cool
je donne à manger à mon chat
et il mange souvent
toutes les quinze minutes
en fait il n’y a pas de règle
il apparaît à la fenêtre
pour entrer
pour réclamer
il me jette un regard pas possible
du genre c’est la fin du monde grouille-toi
juste pour que je lui ouvre
même si je suis occupé
il le voit bien mais il s’en fout
alors je lui ouvre
sans un merci il court à sa gamelle
et il miaule
moi comme un con je la lui remplis
pour qu’il arrête de miauler
qu’il me laisse tranquille
au moins quinze minutes
mais parfois il ne mange même pas
ce que je viens de lui donner
c’est incompréhensible
ce job est vraiment stressant
voire flippant
je ne dors plus que d’un œil
je n’ose plus m’éloigner
suis sur le qui-vive
vingt-quatre heures sur vingt-quatre
sept jours sur sept
alors chacun me l’accordera
être le portier d’un seigneur chat
c’est un rude boulot
 

*J’entends des voix
alors j’ai parlé au soldat inconnu
je lui ai demandé qui il était au juste
il m’a répondu PERSONNE
JE SUIS DES MORCEAUX DE PLUSIEURS
j’ai sept tibias
trois fémurs
un nombre impair de côtes
pas un seul métacarpien
et ma tête est perdue
on m’a donné celle d’un autre
C’EST BIEN
 
.
Alors j’ai parlé à Vercingétorix
pas trop déçu, chef arverne ?
j’ai demandé
tu as quand même su fédérer les peuples gaulois
sous la double bannière de ta révolte
et de ton ambition
bel exploit
OUI J’ÉTAIS DOUÉ POUR ÇA
je savais parler aux hommes
César m’avait tout appris des choses de la guerre et de la politique
il avait été mon maître
mon mentor
puis mon ami
j’étais le plus prometteur de ses élèves
son chouchou
quand j’étais jeune otage à Rome
mais comme tous les disciples
j’ai cherché à dépasser le maître
comme tous les fils
J’AI VOULU TUER LE PÈRE
peut-être que s’il avait moins eu le sens des responsabilités
il aurait pardonné cette trahison
en fait une loyauté supérieure envers mes origines
peut-être qu’il m’aurait laissé gagner
et la face du monde en eût été changée
j’ai ajouté en tout cas celle de votre France
il s’est empressé de répondre
jadis la Gaule c’était autre chose
ses forêts ses guerriers son sens du sacré
ses assemblées de druides
qui savaient tout
vie mort et renaissance
la vérité des cycles que vous avez oubliée
MOI AUSSI JE VOULAIS ÊTRE DRUIDE
MAIS J’AVAIS UN DESTIN AUTRE
une mission
j’étais un chef
un fils de chef
j’ai assumé
j’ai réussi l’impossible
même si j’ai échoué
« J’ENTENDS DES VOIX » publié AUX ÉDITIONS LE CITRON GARE est disponible ICI

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