Confiné. Je fais l'autruche.
Le gouvernement nous prépare pour lundi une attestation à télécharger, une procédure qui générera un QR code contenant on ne sait quoi encore comme données personnelles. Et une liberté individuelle rabotée de plus, une. Moi qui ne voulais pas parler politique ici, c'est raté. Tout est politique, et plus encore en ce moment. Tandis que nombre d'andouilles se lavent les mains (métaphoriquement) des consignes essentielles, j'horodate et je signe le papier qui m'autorise à faire le tour du pâté d'immeubles à la petite Kimberley, bientôt 13 ans.
À mesure que j'avance, elle renifle les traces de ses congénères et je hume l'air frais du matin.
J'absorbe le soleil au coin de la rue. Des gens ont accroché des calicots de couleurs où ils ont écrit au marqueur « merci à nos soignants ». D'autres ont fixé à leur balcon une pancarte : « Nous ne reviendrons pas à la normalité car la normalité, c'est le problème ». Une dame que je ne connais pas me fait coucou de la main. La petite me promène jusqu'au bout de l'impasse, une entrée du parc réservée aux personnels des espaces verts.
Je franchis en pensée les grilles qui en empêchent l'accès jusqu'à nouvel ordre. La nature domestiquée ne croise aucun humain depuis presque trois semaines. Les oiseaux pépient et se répondent. Personne pour les déranger un bon moment encore, personne pour faire tourner le manège qui trône sans joie à l'entrée. À la buvette à côté, les chaises sont vides, la cahute a baissé son rideau de fer. C'est une extension du Parc Longchamp qui a longtemps abrité un zoo. Des répliques en fibre de verre aux couleurs tape-à-l'œil ont remplacé les animaux sauvages. Derrière les barreaux d'une des ménageries, on a depuis longtemps volé la fausse autruche qui s'y trouvait. Au-dessus, un message sibyllin en majuscules sombres barre le mur de la cage abandonnée : « L'autruche est en RTT, revenez plus tard !»
C'est entendu, je reviens plus tard.