La guerre informationnelle contre Yara

Publié le 03 avril 2020 par Infoguerre

Yara International est une société chimique basée en Norvège, dont l’entité a été créée en 2004. Cette multinationale présente mondialement, est le leader mondial des engrais chimiques (ou minéraux). Ses principales activités sont la fabrication et la mise en marché d’engrais azotés. Elle synthétise et vend également de l’ammoniac, essentiel pour la fabrication engrais minéraux azotés synthétiques. Les engrais chimiques (ou minéraux) sont les plus utilisés pour leur pouvoir de rentabilité et leurs prix, mais ils sont aussi dangereux pour l’environnement si leur utilisation n’est pas optimisée.

Une communication de façade pro développement durable

Yara se positionne sur deux axes : un discours de soutien aux agriculteurs pour améliorer leur rendement  et nourrir la planète, tout ceci en préservant l’environnement et la planète. La multinationale prône le concept d’une agriculture intelligente face au climat.

Sur son site web, Yara nous présente sa mission :

« Nourrir le monde de manière responsable pour protéger la planète. Nos solutions en matière de nutrition des cultures et nos offres en matière d’agriculture de précision permettent aux agriculteurs d’accroître leurs rendements et d’améliorer la qualité de leurs produits, tout en réduisant les effets sur l’environnement. Nos solutions environnementales et industrielles améliorent la qualité de l’air et réduisent les émissions toxiques ».

Yara n’hésite pas à employer la communication émotionnelle pour relayer ce positionnement. Cette vidéo datée d’octobre 2019, intitulée « Nourrir la planète d’ici 2050 » en est l’illustration : la tonalité du titre, le choix des termes employés, les éléments non verbaux (comme la musique qui invite à l’évasion ou la mise en valeur de l’humain et des paysages par l’image). Yara se positionne en sauveur de la planète.

Ce positionnement de Yara comme une partie de la solution à la crise climatique se retrouve aussi sur son rapport sur le développement durable.

L’attaque informationnelle des anti Greenwashing

Yara est attaqué par des structures de la société civile. ces attaques informationnelles ont pour relais d’influence les médias. Le 24 février 2020, Yara est nommé gagnant du Prix Pinocchio 2020 parmi 3 groupes de l’industrie agroalimentaire, décerné par l’association les Amis de la Terre en partenariat avec la Confédération Paysanne. Ce prix a pour objectif la dénonciation de mauvaises pratiques dans le domaine agricole et agroalimentaire.

La campagne Prix Pinocchio, financée avec le soutien de la Commission européenne, a comme partenaire média l’Observatoire des Multinationales (publié par l’Association Alter-Media). Le thème de 2020, l’agrobusiness, visait à dénoncer le décalage entre l’image vertueuse pour l’environnement que certaines agro-industries  se donnent, et la réalité de leurs actions.

Les faits reprochés à Yara :

  • augmentation des émissions de gaz à effet de serre de 20 % entre 2009 et 2017
  • consommation importante d’énergies fossiles nécessaires à la fabrication d’engrais chimique, génératrices de gaz à effet de serre (GES) et de particules fines.
  • les engrais chimiques responsables d’émissions de protoxyde d’azote, d’ammoniac et de pollutions de l’eau par les nitrates

La campagne de communication est relayée dans les médias (Le Monde, Ouest France, France 3 Pays de La Loire etc.) ainsi que les réseaux sociaux agrémentée par un happening sur le stand du Ministère de l’Agriculture et des Aliments, pour annoncer le gagnant du Prix lors du Salon de l’Agriculture.

Les offensives contre Yara sur le terrain institutionnel et légal

 Les Préfectures ont dans l’obligation de mieux connaître et faire connaître les risques naturels et technologiques existants sur le territoire, dans le cadre du droit à l’information des citoyens sur les risques majeurs, instauré par la loi du 22 juillet 1987. Le Préfet établit un dossier départemental des risques majeurs (DDRM) qui  décrit les risques identifiés et leurs conséquences prévisibles pour les personnes, les biens et l’environnement, expose les mesures générales de prévention, de protection et de sauvegarde et établit la liste des communes concernées par chaque risque majeur.

Le site de l’usine Yara à Montoir-de-Bretagne classé Seveso 3, seuil haut, est classé type Seveso 3 pour deux types de risques majeurs :

  • Le risque toxique, résultant d’une fuite d’ammoniac, de gaz nitreux ou de péroxyde d’azote à l’atmosphère
  • -Le risque d’explosion résultant de la décomposition d’un stockage de nitrate d’ammonium

Ce site industriel a fait l’objet de mises en demeure en 2018 et en 2019 parce qu’il dérogeait à certaines règles sécuritaires et environnementales. Plusieurs arrêtés préfectoraux ont été déposés notamment en septembre 2015 et un complémentaire en mai 2016 suite à l’examen de l’étude de dangers du site, imposant le renforcement de la sécurité des installations de production d’acide nitrique (fin des travaux au 31 mars 2020). En août 2018, un arrêté de mise en demeure a été adressé à la direction de l’usine pour la contraindre à mieux protéger la salle de contrôle vis-à-vis des risques toxiques d’incendie et d’explosion.
Fin 2019, la Préfecture des Pays de la Loire Arrêté Préfectoral du 27 novembre 2019  visant à prescrire un diagnostic et une étude technico-économique de réduction des prélèvements et consommation d’eau devant être fournis dans un délai de 6 mois. Enfin, l’Arrêté Préfectoral datant du 12 Décembre 2019 complémentaire au précédent, indique que Yara France ne respecte pas les dispositions d’un précédant arrêté en dépassant des valeurs limites d’azote et de phosphore de rejets d’eau industrielles et pluviales. Yara France est donc redevable d’une amende.

Yara International mène une importante campagne de lobbying, notamment auprès de l’Union européenne, pour éviter toute régulation contraignante de son impact climatique. Selon l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory, Yara aurait dépensé près de 12 millions d’euros en lobbying dans la capitale européenne depuis 2010, tout en profitant du soutien de lobbys sectoriels comme Fertilisers Europe ou le Conseil des industries chimiques (CEFIC).

Confrontation informationnelle en Europe : le principe d’innovation pour contrecarrer le principe de précaution 

Les industries à l’origine de produits à risque tentent de trouver des solutions de contournement aux règles de sécurité de l’Union Européenne, notamment le principe de précaution. Selon cette dernière « l’invocation ou non du principe de précaution est une décision prise lorsque les informations scientifiques sont incomplètes, peu concluantes ou incertaines et lorsque des indices donnent à penser que les effets possibles sur l’environnement ou la santé humaine, animale ou végétale pourraient être dangereux et incompatibles avec le niveau de protection choisi. »

L’objectif du principe d’innovation est d’essayer de s’inscrire au plus haut sommet européen. Ce «principe» est le produit de l’European Risk Forum (ERF), un Think Tank pour les sociétés de produits chimiques, de tabac et de combustibles fossiles – les industries à risque, qui sont donc soumises à la réglementation sanitaire et environnementale. En l’utilisant, ces industries visent à garantir que « chaque fois qu’une législation est à l’étude, son impact sur l’innovation doit être évalué et traité ». Le plus grand intérêt commun de ces industries est de garder leurs produits sur le marché avec le moins de restrictions et de réglementations possibles. Ce «principe de l’innovation» n’a pas de base juridique, il est simplement «le produit de lobbying formulé par un groupe de réflexion et promu principalement par les entreprises qui financent le groupe de réflexion». Cependant il pourrait avoir un impact significatif sur l’élaboration de nouvelles législations ou politiques de l’Union Européenne.

L’agriculture climato-intelligente de Yara sous l’égide du GACSA

La Global Alliance for Climate Smart Agriculture (GACSA) a été lancée par le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon en septembre 2014, à l’occasion du sommet mondial sur le climat. Ce consortium regroupe États (dont la France), multinationales, organisations professionnelles d’agriculteurs ou d’entreprises, universités et centres de recherche ayant pour but de créer une synergie autour du concept d’agriculture climato-intelligente et ainsi faire évoluer les systèmes et les pratiques agricoles partout dans le monde. Parmi la liste des membres se trouve le Fertilizer Institute (syndicat de l’industrie des fertilisants) ou encore Yara. Derrière l’image raisonnable et vertueuse d’une agriculture favorable au climat, priorité est donnée aux biotechnologies et à la compensation carbone plutôt qu’aux savoir-faire et pratiques des paysans qui protègent le climat et l’environnement. Le GACSA est l’aboutissement de plusieurs années d’efforts du lobby des engrais visant à bloquer toute action significative sur l’agriculture et le changement climatique.

Carole Guillaume

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