Relire le Semmelweis de Céline
Médecin né en Hongrie (dans l’Empire Austro-hongrois), Semmelweis exerce sa mission à l’hôpital de Vienne. Il est scandalisé par le nombre de femmes qui, en couches ou après avoir donné naissance, meurent de septicémie. Ce n’est pas acceptable. Il cherche, il trouve : médecins et infirmiers sont des agents d’une contamination ; ils transportent les microbes issus des autopsies que pratiquent les étudiants. Ordre à tous donné : se laver les mains, systématiquement, longuement, soigneusement, souvent. Il est fou, il n’est pas viennois (on se moque de son accent), il passe pour un fou qui porte atteinte à la suffisance des mandarins. Cabales, révoltes. Il s’épuise. Il sauve des vies, des femmes, des enfants, il sera un bienfaiteur de l’humanité, mais « il est fou ».
La Vie et l’Œuvre n’est pas une tranquille composition académique ; elle n’est pas non plus écrite dans l’atmosphère d’A la Recherche du temps perdu* ; elle se lance dans les maux de l’humanité. Le médecin et l’écrivain Céline continueront d’être « fixés » sur l’hygiène. Louis-Ferdinand obtient un poste de chercheur à l’Institut d’hygiène de Genève, sur un programme de la Société des Nations. De retour en banlieue parisienne, il est employé par le dispensaire de Bezons. Pour compléter son (maigre) salaire, il se fait représentant commercial de quelques laboratoires pharmaceutiques.
Quand il écrit son Semmelweis, Céline n’est pas encore le délirant antisémite qu’il deviendra. Il s’intéresse à un persécuté. Mais il expose déjà une exploitation littéraire de son inclination paranoïaque. Chutes d’Empires, morts en masse, solitude d’un individu, levée et tombée de rideau…
Claude Minière
* Adrien Proust, le père de l’écrivain, était lui-même, à la Faculté de médecine de Paris, un hygiéniste de grande réputation, conseiller du Gouvernement pour la lutte contre les épidémies.