À la fois drame sanitaire et crise économique sans précédent, la pandémie de COVID-19 pourrait être un tournant historique dans les relations internationales. Il est clair qu’il n’y a pas de leadership américain dans la crise du coronavirus, la réaction de Washington a été extrêmement lente et celle de l’Europe inadaptée. Les États-Unis et l’Europe sont d’abord occupés à se sauver eux-mêmes. Plus qu’une pandémie, on constate une addition d’épidémies nationales avec chacune sa dynamique et son calendrier propre. Dans ce contexte, la Chine et la Russie ont compris que cette crise est une occasion stratégique d’opérer un renversement historique des relations internationales.
La guerre commerciale pré-pandémie a donc laissé la place à une guerre de l’information, ou plutôt de la désinformation. Cette crise permet à la Chine mais aussi à la Russie, d’affaiblir le rôle de superpuissance américaine, de fragiliser la solidarité européenne, et ainsi de renforcer leur position sur la scène internationale. Les deux puissances ont ainsi déployé un important arsenal de mesures offensives destinées à influencer les opinions publiques en faveur de leurs intérêts. Pékin et le Kremlin tiennent les rênes de la propagande et des outils d’influence. Avec ces instruments, ils cherchent à entretenir et assurer leur légitimité nationale respective, et influencer les opinions publiques au niveau mondial.
L’offensive informationnelle chinoise
Alors qu’elle craint une nouvelle flambée épidémique , la Chine s’est lancée dans une campagne massive destinée à modifier au niveau mondial le récit et la perception de la crise liée à la pandémie de coronavirus. Cette campagne se joue sur le front de la guerre de l’information et vise le contrôle de l’opinion publique.
L’offensive chinoise s’appuie sur trois éléments de propagande : il existe des doutes sur les origines du virus, qui pourrait avoir été importé à Wuhan par des militaires américains, la Chine a démontré son efficacité dans la gestion de l’épidémie, et enfin les régimes démocratiques ont démontré leur incapacité à gérer cette crise.
L’idée selon laquelle le COVID-19 aurait été apporté par des Américains, lors d’une compétition sportive regroupant des soldats du monde entier, a été mise en avant par un officiel haut placé des Affaires étrangères à Pékin. Cette théorie peut paraître fantaisiste mais elle est une bonne stratégie de diversion qui permet de semer le doute sur l’origine du mal. Dans ce contexte, la Chine accentue la censure, nie l’origine épidémiologique du virus, et veut faire oublier ses manquements dans les premières semaines de la crise sanitaire. Elle tente de présenter sa gestion calamiteuse comme un modèle à travers sa propagande et passe donc d’une guerre sanitaire nationale à la guerre idéologique internationale.
La stratégie chinoise de manipulation de l’information est une dimension majeure de la guerre de l’information menée par la Chine. Le monde est invité à suivre leur exemple, notamment par un bouclage strict des régions les plus touchées. L’Italie a été la première à emboîter le pas, et aussi à demander l’aide « désintéressée » de la superpuissance. Le gouvernement chinois met tous les moyens à sa disposition pour balayer les critiques sur sa gestion de la crise sanitaire et redorer son image. Ce n’est pas sans rappeler la propagande du pouvoir soviétique après la catastrophe de Tchernobyl : censure et rétention d’informations au début, puis communications rassurantes avant de capitaliser sur l’expérience acquise.
Après une campagne diplomatique, la Chine a notamment usé massivement du réseau Twitter pour faire circuler sa propagande. En effet, bien que les citoyens chinois ne soient pas autorisés à utiliser ce réseau social, des comptes pro-Chine ont envahi la plate-forme pour défendre le régime communiste et attaquer les États-Unis.
Cette intensification de la guerre informationnelle vise initialement à détourner la colère des citoyens chinois loin du régime et à la diriger contre les États-Unis, puis à véhiculer l’image selon laquelle le Parti Communiste a contenu l’épidémie et enfin à semer la discorde à l’échelle internationale entre les USA et les pays Européens.
La Russie pente de profiter de la brèche
Dans le contexte pandémique actuel, la diffusion de fausse information n’est pas l’apanage exclusif de la Chine. En effet, le 22 février, des responsables américains ont affirmé, que sur plusieurs réseaux sociaux, des milliers de comptes liés à la Russie avaient participé à une « campagne de désinformation » en propageant des théories du complot au sujet de la pandémie. Mais les États-Unis ne sont pas les seuls à pointer la Russie. Tel est aussi le cas du Service Européen pour l’Action Extérieure, qui a rendu le 16 mars un rapport qui assure qu’une « importante campagne de désinformation des médias d’État russes et des médias pro-Kremlin concernant le COVID-19 est en cours. »
Pour Moscou, la priorité reste de contrôler l’espace informationnel russe, c’est-à-dire de faire en sorte que les voix critiquant la gestion par le gouvernement du coronavirus en Russie restent muselées. Ou du moins le plus possible, dans un contexte où l’entourage du président cherche à légitimer le maintien au pouvoir de celui-ci après 2024. En interne, le discours officiel russe relayé par la télévision d’État incarnée par Dmitri Kisselev, considéré par le Moscow Times comme le « propagandiste en chef du Kremlin », reprend le même propos que Dostoïevski dans son « Journal de Paris » sur une Europe « agonisante » que « seule la Russie sera en mesure de sauver ».
En parallèle, la Russie cherche à démontrer sa capacité de projection de puissance au sein de l’Union Européenne et à afficher sa générosité par l’envoi d’unités militaires et par la livraison d’équipements médicaux à l’Italie et ainsi entretenir l’idée d’une incapacité des dirigeants européens à juguler la crise. Les contenus de Russia Today France l’illustrent en continu.
La scénarisation de l’aide humanitaire envoyée à l’Italie s’est appuyée sur la diffusion en masse par les médias russes de deux séquences : d’une part, la réunion entre officiers italiens et russes dans l’un des QG de l’armée de Terre italienne à Rome, et d’autre part, la colonne de véhicules militaires russes faisant le trajet de Rome à Bergame.
Enfin, le gouvernement russe ne cache pas ses velléités de maîtrise de la crise par la technologie, mais surtout à des fins défensives : le développement d’IA et le lancement prochain d’un système permettant aux autorités de géolocaliser les individus entrés en contact avec des malades en utilisant leurs données mobiles. A l’instar de la Chine, le but de confrontation informationnelle russe est d’exacerber les tensions et d’affaiblir de l’intérieur les institutions des États-Unis et leurs alliances avec l’Europe. Mais aussi d’aggraver la crise de santé publique dans les pays occidentaux, en sapant la confiance du public, empêchant ainsi une réponse commune efficace à l’épidémie.
Un ADN « post »-communiste
Il y a plusieurs parallèles intéressants à faire entre les méthodes russes et chinoises. D’un côté, Moscou agit par mimétisme en cherchant à répliquer la gestion algorithmique des masses par Pékin. De l’autre, les décideurs russes signalent à leurs homologues chinois que la Russie compte dans ce type de crise désormais internationale.
Il y a aussi mimétisme du côté chinois en matière de guerre informationnelle. Comme la Russie, la Chine combine deux stratégies qui se complètent : la diplomatie publique classique et la dissémination de multiples récits sur le COVID-19 afin de semer la confusion à l’étranger par une alternance de rhétorique consensuelle et de propos outranciers. En matière de guerre informationnelle, l’action chinoise s’était jusque-là plutôt restreinte à son environnement régional immédiat. Or on constate maintenant une attitude décomplexée de la Chine sur ce terrain, sans doute en partie le fruit d’une fine observation des stratégies asymétriques déployées par la Russie au cours des dernières années.
La nécessité d’une riposte occidentale dans le domaine informationnel et cyber
Au début du mois de mars, le contraste était frappant entre l’attitude de Pékin et celle de Washington. Pendant que Donald Trump annonçait la fermeture des frontières des États-Unis aux voyageurs d’Europe, des avions chinois et russes débarquaient en Italie des conseillers et du matériel. Un contraste saisissant.
Curieusement l’envoi en janvier de 56 tonnes de matériel pour aider la Chine, à la demande de Pékin n’a eu qu’un faible écho dans la presse européenne. Cette assistance-là n’avait pas été filmée par les caméras chinoises, d’autant que la Chine avait expressément demandé de le faire discrètement afin de ne pas perdre la face. La Chine et la Russie, dont les opérations cybernétiques sont de plus en plus utilisées dans le but de soutenir des actions d’influence d’ordre informationnel, communiquent énormément afin de préserver leur système politiques nationaux respectifs, diviser l’Europe et fragiliser plus encore l’hégémonie américaine.
C’est une guerre d’images qui commence, et elle est vitale. Si l’occident veut défendre son système de valeurs démocratiques, il doit répondre avec force et surtout symboles, les milliards ne suffiront pas. Il faut des mesures solidaires et concrètes qui se doivent d’être appuyées par une communication offensive à la mesure de l’enjeu.
Mais il ne s’agit pas seulement d’une guerre d’images pour montrer que le monde occidental est solidaire sur la question du traitement de la pandémie. La Chine est à l’origine de cette pandémie et comme le précise Christian Harbulot dans une interview (1) sur le site de l’Ecole de Pensée de la Guerre Economique. Sa nocivité en tant que puissance devenue dangereuse pour l’humanité est un débat qui ne doit surtout pas être esquivé.
Lucas Avatin
Note
(1) A écouter en ouvrant le lien à partir de google chrome.
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