Attendre, lutter, espérer … Face à la pandémie le monde se bat. L’heure est à serrer les dents. L’urgence sanitaire fait passer au second plan l’ébranlement économique provoqué par la pandémie elle-même. Mais il va y avoir un « après » fait de tensions, de confrontations, et espérons-le de résolutions et de progrès.
La crise actuelle n’est pas séparable des crises qui se succèdent depuis 30 ans. Elles sont chaque fois plus profondes et plus déstabilisatrices, particulièrement sur le plan social. Toutes révèlent les dégâts induits par une croissance portée par un capitalisme financier mondialisé. Mais si la présente crise se situe dans le prolongement de ces ébranlements, elle est spécifique. Cette fois-ci, au lieu de partir du secteur financier pour se transmettre à l’économie réelle, la crise part de la société elle-même et frappe de plein fouet l’économie et la production, remontant ensuite au système bancaire et financier. Les conséquences n’en sont que plus dangereuses.
Le risque est de voir s’ajouter aux milliers de morts de l’épidémie, des milliers de faillites d’entreprises et des millions de chômeurs. Le PIB reculerait de 3 à 6 points si l’on en croit les prévisionnistes. Du jamais vu hors période de guerre. Nos entreprises, victimes de la spéculation, risquent d’être vendues à l’encan à quelques fonds d’investissement. Les enjeux sont immenses : éviter un nouveau rétrécissement de l’appareil productif français et européen, éviter un nouvel appauvrissement des ménages, éviter l’accroissement des inégalités dont les effets inacceptables se sont manifestés lors de la pandémie.
Le gouvernement réagit actuellement comme si cette crise économique n’était qu’une parenthèse. L’habituel catéchisme austéritaire est sérieusement écorné : les pays du G20 s’apprêtent à arroser l’économie de 5 000 milliards de dollars, la BCE dégaine 750 milliards d’euros de facilités monétaires supplémentaires, le tout sans véritable critère d’efficacité ni contrôle. L’exécutif français navigue à vue instaurant « l’état d’urgence sanitaire », justifiant – pour combien de temps ? – des dérogations inacceptables au code du travail et débloquant 45 milliards d’euros, en direction des entreprises avec pour seul objectif qu’elles ne mettent pas la clé sous la porte. Se préparerait-on à nationaliser les pertes ? Pourtant sans vision du système productif à reconstruire pas plus la France que les principaux pays développés ne vont pouvoir affronter la profonde dépression qui s’annonce.
D’une manière surprenante, Emmanuel Macron a terminé son discours télévisé du 12 mars par plusieurs idées fortes, pas vraiment dans la ligne de la politique menée jusqu’à présent. Il a affirmé le besoin que certaines activités soient «placées en dehors des lois du marché» et a promis en conséquence «des décisions de rupture». Va-t-on reconnaître que la réponse au dramatique problème sanitaire et la résolution de nombreux problèmes sociaux, économiques et environnementaux sont liées et admettre que les risques accrus face aux virus sont également dus au mode de vie, aux conditions de travail, à la pollution, à l’alimentation ?
Ne soyons pas naïfs. Au lendemain de la grave crise financière de 2008, Nicolas Sarkozy n’avait-il pas, à Toulon, déroulé un discours critique à l’encontre de ce qu’il appelait « le système »? Pourtant le pouvoir en place ne tint nullement compte de cette analyse. Qu’en sera-t-il, aujourd’hui, avec Emmanuel Macron ? On le mesurera rapidement à l’attitude de l’exécutif envers les services publics, principale barrière aux dérèglements sanitaires, mais également moteurs de la transition sociale et écologique.
Il s’agit de répondre rapidement à l’urgence sociale telle qu’elle s’exprime dans l’épidémie mais aussi telle qu’elle s’est exprimée à l’occasion des mouvements sociaux dans les mois précédents. Il s’agit aussi de passer à une économie solidaire et soutenable dans la durée. Cela impose de remettre en cause un mode de croissance dicté par la recherche d’une rentabilité maximum et de se donner de nouveaux objectifs économiques et sociaux. La production devra désormais se centrer sur les besoins des populations. L’intervention publique devra favoriser l’émergence d’un nouveau système productif intégrant le souci d’une relocalisation des activités essentielles sur notre territoire et celui d’une protection de l’environnement. Les activités de la sphère financière devront être fortement encadrées et réorientées. Les Services publics, Éducation, Santé, Formation, Recherche, Culture, devront être promus et prioritaires. Il y aura besoin, par-delà les frontières, d’un dialogue approfondi et de changements dans la manière dont se développe la mondialisation.
L’histoire enseigne que chaque grande épidémie a conduit à des changements essentiels tant dans l’organisation sociale des pays que dans la culture des peuples. Nous sommes dans cette situation. Un changement de système doit être engagé. Ce basculement est une nécessité pour répondre efficacement à ce que l’on peut considérer comme une « crise de civilisation ».
Jean-Christophe Le Duigou économiste, syndicaliste.