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CULTURE : Le coronavirus, scénario catastrophe de l’industrie du cinéma français.

Publié le 02 avril 2020 par Particommuniste34200

Avec la clôture des salles et l’interruption des tournages, le cinéma français est totalement à l’arrêt. Dans les rangs des exploitants, des producteurs et des distributeurs, les inquiétudes montent face aux difficultés économiques présentes et à venir. Les plateformes de vidéo à la demande, elles, se frottent les mains : elles ont gagné le droit d’exploiter plus rapidement les nouveaux films. 

Dans le scénario catastrophe que la France est en train de vivre, le tube d’Eddy Mitchell, la Dernière Séance, semble devenir réalité pour l’industrie française du septième art. Depuis le 14 mars, « bye-bye les héros » qu’on aimait, « le rideau sur les écrans est tombé ». Au cœur de l’épidémie de coronavirus, au même titre que les bars et les restaurants, les cinémas ont dû fermer « comme tous les commerces non vitaux ». De nombreux films ont alors vu leur sortie repoussée. Le Covid-19 a aussi entraîné la mise en suspens du Festival de Cannes et l’arrêt des tournages.

Par le passé, l’industrie du cinéma a déjà été paralysée. « Trois fois : lors de la guerre de 14-18, en 1939 et en 1968 », selon Philippe Rouyer, journaliste et historien du cinéma. Au 1 er septembre 1939, lorsque la guerre a été déclarée, les productions se sont arrêtées. « Cela concernait vingt longs-métrages, dont certains n’ont jamais été finis », explique Philippe Rouyer. En Mai 68, les grands syndicats de techniciens se sont mis en grève, stoppant de facto tous les tournages. « Mais ils n’étaient pas au chômage pour autant puisqu’ils ont fait du cinéma du réel pour capter le mouvement », nuance le critique au magazine Positif. D’après lui, la « grande différence » entre cette crise et les précédentes réside dans la fermeture de toutes les salles de cinéma du territoire.

Le virus a frappé au mauvais moment

« C’est une première historique, observe Stéphane Goudet, directeur du cinéma Le Méliès à Montreuil (Seine-Saint-Denis). On navigue tous à vue, avec forcément une perte de recette. » Il craint alors de voir disparaître des « petites salles déjà fragiles ». Le virus a surtout frappé au plus mauvais moment, car mars est généralement un bon mois pour les exploitants. Plus globalement, il vient stopper une période faste en termes de fréquentation des salles. Avec 213 millions d’entrées, 2019 était la deuxième meilleure année depuis 1966.

Jean-Jacques Ruttner, directeur du Luxy, à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), pointe une seconde inquiétude : l’embouteillage à venir du calendrier des sorties qui fragilisera les œuvres plus confidentielles. « Cinq semaines de fermeture correspondent à environ 75 films qui devront sortir à un autre moment. Les petits films vont entrer en conflit les uns avec les autres et subir la concurrence accrue des gros films. » Pour Stéphane Goudet, qui mise sur une vraie reprise « à la rentrée », il faudra justement être « vigilant pour que les exploitants n’aient pas le réflexe d’aller vers les succès garantis et que la dimension artistique ne passe pas au second plan ».

Le fonds de soutien du CNC risque de s’assécher

Mais le gros point d’interrogation reste le retour des spectateurs dans les salles. L’exemple de la Chine, premier pays à lever ses mesures de confinement, n’incite pas l’optimisme. Si environ 600 salles ont rouvert, les cinéphiles ne s’y sont pas précipités. Plus préoccupant encore, le Bureau du film de Pékin a décidé d’une nouvelle fermeture des cinémas afin d’éviter une seconde vague d’infection.

Une telle situation appliquée à la France pourrait être dévastatrice pour l’ensemble de la filière. En effet, les salles hexagonales sont centrales dans les mécanismes de financement des œuvres. Qu’il s’agisse d’un blockbuster américain ou d’un film d’auteur français, une taxe spéciale additionnelle (TSA) de 10,72 % est prélevée sur chaque place vendue. Elle sert à soutenir la création via le fonds de soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et représente 40 % de son budget cinéma. Le CNC vient d’ailleurs de suspendre son versement pour aider les exploitants à sortir la tête de l’eau. Selon la durée de la crise, le fond de soutien pourrait donc s’assécher, handicapant tout un pan du cinéma français qui aurait alors du mal à trouver de l’argent.

«Il faudra tout redémarrer»

« On ne sait pas non plus dans quel état les opérateurs privés tels que Canal Plus ou TF1 sortiront de cette crise. Demain, il sera peut-être plus dur de financer des films », alerte Philippe Sobelman, producteur chez Agat Films. Le coronavirus a déjà un impact économique élevé sur les sociétés de production dont les tournages ont été suspendus. Outre la sortie décalée du documentaire Adolescentes, de Sébastien Lifshitz, Agat Films a dû arrêter la production de trois films, dont le prochain Robert Guédiguian qui se tournait au Sénégal depuis trois semaines. « Même si nous ne sommes pas en péril, les dégâts économiques existent. Il faudra tout redémarrer. Ce sont des sommes conséquentes, entre 20.000 et 100.000 euros selon les films. » Des frais entièrement à la charge de la production, car les assurances ne couvrent pas les arrêts de tournage.

Des accros qui touchent également les distributeurs, dont le calendrier de sortie a été bouleversé. C’est le cas de The Jokers, dont le film Vivarium, de Lorcan Finnegan, n’a été visible que quelques jours. « Ce sont plusieurs centaines de milliers d’euros investis depuis Cannes 2019. On avait fait venir l’acteur américain Jesse Eisenberg pour la promotion. Ce sont des coûts loin d’être anodins pour un distributeur de notre taille. La fermeture des salles nous met en difficulté », regrette Kern Joly, directeur du marketing, qui estime qu’il était « trop tard » pour décaler la sortie du film. Pour limiter la casse, The Jokers aurait pu céder à la tentation de la vidéo à la demande depuis que la chronologie des médias a été exceptionnellement aménagée (voir encadré ci-dessous).

Mais le distributeur a choisi de ressortir Vivarium sur grand écran « dès que possible » et fait donc le pari que les spectateurs ne resteront pas scotchés devant les services de streaming et préféreront l’expérience de la salle. Seule solution pour que les cinémas ne finissent pas « en garage » ou en « building supermarchés ».

Emilio Meslet L’HUMANITE 02 avril 2020


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