"L'existence humaine est interprétée comme un cycle perpétuel de fécondation, de gestation et de naissance, où la mort et la naissance constituent les seuils entre les deux vies utérines. L'individu naît de sa mère mais le principe vital provient d'Axpikon-did, l'utérus paradisiaque; en naissant, l'enfant s'intègre à ce monde qui est un autre utérus mais en même temps, il entre dans l'utérus de la maloca. A sa mort, il retourne dans Axpikon-did mais éventuellement, s'il n'a pas mérité le paradis, il va dans l'utérus des collines de la forêt où il poursuit une existence animale. La transformation est continue et l'individu passe d'un état à l'autre, son destin final étant déterminé par son comportement moral dans ce monde. De celui-ci dépend donc qu'il retourne à un état contemplatif à Axpikon-did ou qu'il descende au niveau des animaux, en se condamnant par sa conduite censurable à partager leur sort.
L’existence humaine est hantée par un grand conflit créé avant tout par la recherche d'un équilibre entre la gratification normale de ses impulsions sexuelles et les prohibitions que la culture lui impose dans ce domaine. Le message du Soleil — éviter l'inceste et maintenir l'exogamie — ne se réduit pas simplement à un code destiné à régler les rapports sexuels dans l'environnement étroit des petits groupes de parenté qui cohabitent dans une maloca ou qui sont en rapport de voisinage; il y a une portée culturelle beaucoup plus vaste et plus profonde. Au fond du problème on trouve des considérations économiques relatives au maintien d'un équilibre viable entre la capacité productive du territoire et les besoins de la consommation humaine."
GERARD REICHEL-DOLMATOFF.DESANA GALLIMARD
Mythologie et cosmologie ( de kosmos, la mise en ordre du monde ) développent un circuit de l’énergie –les Desana le nomment BOGD qu’on peut traduire par « courant ».- Ainsi la voie lactée sorte de circuit spermatique qui enveloppe la terre est appelée « vent courant ». Reichel Dolmatoff énumère une suite d’emploi du concept où se manifesterait cette énergie. bogd signifierait une énergie perceptible par les sens, qui qualifie certains phénomènes et certains contextes. Certains animaux « ont du bogd : c’est ce qu’on dira en parlant du jaguar ou d'un esprit de la forêt. Il s'agit d’abord de qualités sensorielles hors du commun, autant par leur acuité que par leur développement spécial: mxiri bogd est ainsi la portée extraordinaire du sens olfactif d'un jaguar ou d'un chien de chasse ou celle de la de la vue de l'aigle bogd. peut aussi dénoter la férocité ou la furie de l’animal . Un payé essaiera d'enlever le bogd à un jaguar qui menace une maloca ou à un esprit dangereux qui apparaît à certains endroits.
Par ailleurs, au sens d’« incorporer quelque chose », Bogd se réfère à la fécondité féminine. Il indique le pouvoir de transformation, de création, de restitution sous une forme nouvelle de quelque chose que l'on a reçu. Ce concept de transformation propre au bogd suppose celui de contact ou de communication, donc ce qui relie.. Par exemple, ce que l'embryon reçoit à travers le cordon ombilical est bogd. On se souvient que la voie lactée est pour le Desana comme un grand écheveau de fibres qui flottent dans les vents orageux des cieux. l'informateur commente : « La Voie Lactée est bogd parce qu'elle relie quelque chose, et elle a du bogd parce qu'elle contient un pouvoir ». » ». (Reichel Dolmatoff). Ce pouvoir est celui « d'apporter ou d'emporter » les maladies et autres fléaux .Mais le pouvoir de la Voie Lactée n'est pas seulement fertilisant dans le sens d'apporter ou de chasser « la semence de la maladie ». Il est en soi une force fécondante cosmique en vertu du symbolisme de l'écheveau du palmier cumare qui comporte un principe séminal.
"En élaborant cette idée de bogd comme facteur de communication fertilisante, l'informateur ajoute que l'expression udri bogd, de udri, « aller », « passer d'un endroit à un autre », est utilisée pour décrire la façon dont Wai-maxsë, le Maître des Animaux, « parcourt ses chemins ». En effet, Wai-maxsë est un être phallique qui veille sur la fertilité des animaux, donc sur une partie du circuit d'énergie. Un autre exemple de ce point de vue est l'expression goréri-bogd, « uriner », où bogd signifie le flux du liquide. Un autre exemple se réfère au contact et à la relation : lorsqu'un payé touche une personne malade ou ennemie, il ne se produit pas seulement un contact entre deux corps, mais il y a aussi un transfert d'énergie d'une source lumineuse, le payé, à un corps passif, l'affectant de façon bénéfique ou maléfique. A ce propos l'informateur dit qu'une décharge électrique serait désignée sous le nom de nyàri bogd, « quelque chose que l'on ressent », alors qu'un jet de lumière serait goxséri bogd (de goxséri, « lumière », « reflet »), « quelque chose que l'on voit ». De même les sensations acoustiques sont interprétées en termes de bogd. Par exemple, un son qui varie en intensité et en tonalité selon qu'il se rapproche ou qu'il s'éloigne rapidement (un avion, un insecte, une flèche), est bëxëri bogd. L'informateur ajoute à cela qu'une mouche qui vole rapidement autour d'une personne, « forme son bogd », c'est-à-dire, son circuit sonore."Reichel -Dolmatoff .op cité.
Si l’on se souvient de ce qui a été dit de la maloca : Le foyer est « peamé bogd, » par la flamme mais surtout par son énergie transformatrice. Il est conçu comme un utérus transformateur (de même que l'utérus est une « cuisine »!) dans lequel agissent des énergies qui effectuent un changement profond de la nourriture. Le symbolisme du foyer comporte une connotation de chaleur et de lumière, mais cette signification ne se limite pas seulement au phénomène de la combustion; il peut s'appliquer aussi aux personnes qui portent en elles cette énergie lumineuse, comme c'est le cas du chaman.
Le concept de bogd apparaît dans les expressions liées directement à la procréation. Oxokariri bogd signifie « vivre . En ajoutant le mot bogd ,on exprime l'idée de courant, de continuité.: « Ceux qui font contact avec ce bogd vivent et continuent à se reproduire. C'est une succession de vies : ils naissent, meurent et laissent des enfants à travers le bogd. C'est un courant continu; c'est un cercle qui vient d'Axpikon-did et qui retourne là-bas à nouveau. »
le circuit d'énergie serait cependant infiniment plus complexe que ce qui vient d’être dit : bogd comme énergie aurait seulement un caractère féminin que symbolise le foyer de la maloca, avec sa chaleur et ses flammes (bogd) et l'utérus (bogô) de la femme. En fait l’énergie serait double ,une autre force intervenant appelée Tuldri, qui représenterait un principe masculin complémentaire.
Il faut maintenant définir ce nouveau concept employé dans de s contextes divers. Tuldri est « force » et ce terme peut être appliqué aussi bien aux qualités physiques d'un homme qu'à celles d'un animal, d'un morceau de bois ou de n'importe quel objet dur et résistant. L'eau, le vent ou un arc tendu ont du Tuldri. Mais ce mot signifie aussi « autorité, commandement, pouvoir ». Un homme qui guide les autres, qui se détache de façon exemplaire dans certaines activités ou dont les arguments sont convaincants, aurait du Tuldri, de même que le payé qui domine, par son savoir ésotérique et par le pouvoir surnaturel qu'il reçoit des personnages divins.
"Nous poursuivons la conversation cherchant de nouveaux contextes lorsque l'informateur dit : « Tuldri c'est la forêt, les mammifères; bogd c'est le fleuve, les poissons. » Et soudain la définition s'impose, formulée par l'infor¬mateur : « Tuldri est une énergie masculine et bogd, une énergie féminine. Les deux ensemble, Tuldri bogd et uxuri bogd, produi¬sent la fécondation; ils forment le grand courant qui circule ». Le grand circuit de fertilisation, alimenté par l'attraction de deux éléments fondamentaux et complémentaires, embrasse toute la biosphère et tout le Cosmos, et synthétise la structure de l'Univers. Certes cette structure est hyperbiologique vu que du modèle de la physiologie sexuelle dérivent de multiples associations, images et symboles qui s'éloignent de plus en plus des faits physiques pour arriver à constituer une philosophie dynamique de l'équilibre" .op. Cite
En résultat de cette conception d’un circuit énergétique , les Desana, hommes et animaux, vivent en véritable symbiose, dans un état d'interdépendance totale conçu en termes d'un cycle unique de fertilisation et de procréation. Pour pouvoir vivre et se reproduire, l'homme a ainsi besoin des animaux qui, en lui offrant la nourriture, lui transmettent l'énergie vitale nécessaire, et cette vitalité est interprétée directement comme une fécondation de l'humanité par les animaux. Mais à l'inverse l'homme doit fertiliser les animaux pour que ceux-ci continuent à se multiplier. Cette fécondation réciproque s'effectue de plusieurs façons .Par de multiples activités rituelles l'homme féconde la nature, au prix de grands sacrifices dans le terrain de sa propre sexualité pour conserver l’énergie nécessaire à ces rites.. Tout ceci se concrétise par la pratique de la chasse, activité essentielle pour l’identité Desana meme si elle est bien moins productive que la pêche ou l’horticulture.
La règle fondamentale du chasseur est la continence sexuelle et cette règle demande une telle répression qu'elle le maintient souvent à un état d'angoisse profond.. Le chasseur doit être sélectif et ne peut pas attraper son gibier arbitrairement, porté simplement par son désir d'obtenir de la nourriture. Il ne peut satisfaire sa faim qu'à certaines occasions et ces conditions sont dures mais nécessaires. La répression sexuelle aurait donc le double but d'encourager magiquement la sexualité et la multiplication des animaux et de contrôler en même temps la croissance démographique humaine c'est-à-dire réguler le nombre de consommateurs virtuels. L'acte sexuel est considéré comme un grand danger; c'est une situation imprégnée de sensations angoissantes, notamment pour l'homme qui craint de perdre son adresse à la chasse. En outre un homme qui engendre plus de deux ou trois enfants sera considéré comme un élément socialement irresponsable et méprisable ; les femmes pratiquent une limitation des naissances apparemment très efficace, en se servant de plantes anticonceptionnelles. Tous ces mécanismes s'efforcent de maintenir l'équilibre écologique.
Les Desana vont classer les animaux dans diverses catégories, dont l'importance symbolique ainsi que celle économique pour la tribu est considérable. Elle se fonde sur certaines caractéristiques que l’indien observe dans leur aspect physique ou dans leur comportement.
La première grande catégorie est formée par les animaux que le Père Soleil aurait créé directement, lorsqu'il façonna le monde. Elle comprend surtout les mammifères de la forêt : cervidés, porcs sauvages, tapirs, singes, diverses espèces de rongeurs, auxquels s'ajoutent les oiseaux. Ces animaux constituent évidemment le principal gibier du chasseur Toutefois le critère à partir duquel on classe ces animaux dans un même groupe repose sur le fait qu'ils forment un chaînon important dans le courant circuit procréateur de la biosphère, où l'homme et l'animal sont complémentaires.
Parmi les mammifères de la forêt, le jaguar occupe la place principale. C'est le seul animal à ne pas être soumis à Wai-maxsë , le maitre des animaux. il incarne la force fertilisante qui émane directement du Soleil. Quand on se réfère au jaguar, on indique que c'est un animal qui se déplace dans des milieux très différents : il vit dans les épaisseurs de la forêt, il grimpe au haut des arbres, il nage dans l'eau et, en outre, il marche aussi bien la nuit que le jour. C'est donc un animal qui donc à des niveaux différents : air, terre et eau, et qui appartient aussi bien à la lumière qu'à l'obscurité. A ce sujet on remarque que le jaguar n'apparaît pas lors des nuits de pleine lune, comme en écho du rapport « primitif » soleil/ lune .
Parmi les poissons, le plus important est la « truite » (considérée comme « la fille du premier Desana », et dont le rôle dans la mythologie et dans les danses, est de grande importance. Les migrations de ces poissons qui, périodiquement, remontent les fleuves et les torrents, à l'époque de la reproduction, pour y déposer leurs œufs, constituent certainement un événement important dans la vie économique des indigènes; on comprend donc que la « truite » soit associée à tant de notions concernant la fertilité. La ponte est comparée à l'acte sexuel des hommes; les œufs sont conçus comme une sorte d'« amidon » et le comportement de ces poissons sert de modèle pour l'exécution d'une danse. Dans l'anatomie de la « truite » on distingue certaines parties qui se comparent au sperme, notamment une partie grasse située dans le dos, entre la tête et le corps.
LE MAÎTRE DES ANIMAUX:
Tous les animaux appartiendraient à un sorte de chef qui est leur protecteur et leur propriétaire. Ce « Maître des Animaux Wai-maxsë,- est la personnification divine la plus importante pour le chasseur Desana.Le nom de Wai-maxsë dérive de waî, wahi, « poisson », mais ce nom s'applique indistinctement au Maître des Poissons et au Maître des Animaux de la forêt, notamment des mammifères. Le Wai-maxsë des poissons veille sur ceux-ci tandis que le Wai-maxsë de la forêt prend soin des animaux terrestres.
Le mythe hésite pourtant sur le fait qu’ils soient en effet deux ou seulement un être unique doué d’ubiquité. Wai-maxsë peut en effet emprunter des formes diverses. Généralement on le décrit comme un petit homme, voire un nain, couvert de peinture rouge et dégageant une forte odeur de plantes magiques provenant du jus dont il est oint. En tant que Maître des Animaux, il est encore celui de la chasse et par conséquent, des plantes magiques qui portent chance au chasseur. Wai-maxsë peut avoir aussi l'apparence d'un petit lézard assez rare, qui vit dans les fentes sèches qui s'ouvrent au pied des grands rochers. Lorsqu'il se manifeste sous cette forme, il a les yeux fermés et les ouvre seulement quand quelqu'un s'approche de lui, pour lui montrer qu'il l'a reconnu. Sorte de Satyre, Il cherche à mordre les femmes enceintes ou celles qui ont leurs règles ; il essaie de les fouetter avec sa queue qui, à la manière du bras du payé, contient des éclats magiques porteurs de maladies. Pour les hommes, l'apparition du lézard ne présente aucun danger. Au contraire il est signe d'amitié et de protection. Pour le saluer et se concilier sa bonne humeur, les hommes fument et soufflent la fumée en direction de l'animal. Conçu d’une sexualité insatiable, Wai-maxsë est pourtant jaloux de tous les hommes et de leur vie sexuelle. Les femmes enceintes et les accouchées déchaînent la jalousie de Wai-maxsë qui, furieux de ne pas avoir été le responsable de leur grossesse, leur envoie des maladies.
Dans les forêts du Vaupés on trouve, de façon dispersée, des formations rocheuses qui émergent à l'horizon comme de sombres îlots. Ces collines isolées, aux parois abruptes et au sommet généralement plat, sont percées de cavernes et de fentes.Ce sont des lieux sacrés et dangereux, sources de maladies. Ces endroits(« colline-maison ») sont dites les demeures, conçues comme de grandes malocas, de Wai-maxsë ; là où, entouré de ses animaux, il domine la forêt. D'autre part les rapides des rivières, ainsi que les endroits où se forment des tourbillons profonds, sont les demeures de Wai-maxsë protecteur des poissons. . Les « maisons des collines » et celles des eaux sont pour les Desana de grandes matrices où se produit la gestation de la faune. C'est là que les espèces sont fécondées et naissent, pour peupler ensuite la forêt ou les rivières. Cette croyance est très importante car elle domine leur vie quotidienne. La colonisation et la pénétration des forêts par les chercheurs de caoutchouc, qui brûlent les arbres pour faire des cultures et qui tuent sans discrimination les animaux qui vivent dans le voisinage des collines,constituent de nos jours un grave danger pour l’équilibre écologique de ces peuples.
Les payé sont les seuls qui connaissent les collines et leurs « maisons », car il leur incombe de communiquer avec Wai-maxsë pour lui demander de céder au chasseur quelques animaux. Ayant atteint un état hallucinatoire provoqué par la poudre narcotique de vixô , le payé pénètre dans la colline pour négocier avec Wai-maxsë. Il ne demande pas des animaux individuels mais des troupeaux ou des saisons de bonne chasse, s'engageant pour sa part à envoyer dans la maison de Wai-maxsë, en guise de paiement, un certain nombre d'âmes. Celles-ci devront entrer dans ce grand « dépôt » des collines pour remplacer l'énergie que le Maître a accordée aux chasseurs.
Wai-maxsë personnifie la sexualité animale. Le « nain rouge » armé de sa baguette polie est un être phallique, maître des réceptacles utérins où les animaux sont procréés. Selon le principe qu’animaux et hommes ne sont qu'une partie d'un cercle fertilisant unique, d'un même engrenage, Il existe de fait une interrelation sexuelle entre le Maître des Animaux et les femmes tandis que les hommes, en tant que chasseurs, entretiennent des rapports sexuels avec le gibier. Il existe ainsi une relation érotique continuelle entre les hommes et les animaux. Le contact s'établit à travers des rêves, des cauchemars et des visions, ou simplement à travers les rêveries de l'imagination. Ainsi, l'homme et l'animal constituent des unités complémentaires, à la fois, réciproques et indépendantes, ayant chacune son représentant, le payé ou Wai-maxsë. Le maintien de cet équilibre subtil qui résulte de cette relation constitue le trait fondamental de la pensée Desana. Le système de pensée des Desana est déterminé en grande partie par l'attitude du chasseur en forêt, et le développement de leurs idées fondamentales traduit leur préoccupation majeure, à savoir les rapports entre l'homme et l'animal.
"Pour les Desana, la société humaine et la faune de leur habitat participent toutes à un même potentiel d'énergie reproductrice, sorte de grand circuit qui anime la biosphère dans un continuel flux et reflux. La fertilité des hommes et des animaux procède d'un fonds commun unique composé d'énergie masculine, Tuldri, et d'énergie féminine, Bogd, forces qui se complètent et se remplacent continuellement, mais dont la portée totale a des limites fixes. Il ne s'agit pas d'une source inépuisable, mais d'un capital déterminé; il n'y a qu'une certaine quantité d'énergie disponible et par conséquent il est nécessaire de maintenir son équilibre. Le gaspillage humain d'énergie diminue immédiatement l'énergie procréatrice des animaux et, comme on sait que celle-ci est limitée, la société a pour obligation de freiner toute attitude abusive de dissipation d'énergie humaine. Tout en reconnaissant la capacité illimitée des hommes à la consommation, et leur tendance parasitaire à l'exploitation, la culture a promulgué une série de normes très strictes pour assurer le maintien de l'équilibre écologique. Dans ce mécanisme régulateur s'opposent les deux administrateurs du capital énergétique : le payé et Wai-maxsë, le Maître des Animaux. Tous les deux sont des personnages phalliques, chacun essayant d'avoir une influence sur la sexualité du domaine de l'autre. Entre ces deux personnages s'établit une forme de dialogue, le marchandage, et chacun s'efforce de gagner des avantages pour ses protégés. Leurs rapports n'expriment pas une compétition au sujet de la nourriture, de la viande ou d'une satisfaction momentanée; ils traduisent la lutte pour la participation à l'énergie vitale, et les gages que l'on donne sont les âmes. Ainsi les relations entre le payé et Wai-maxsë ne se présentent pas comme un simple rituel mais comme un conflit qui engage la société entière vu que, de son issue dépend la survie aussi bien biologique que métaphysique" .OP.CITE
Selon la mythologie de l’énergie fortement sexualisée, comme vue précédemment, la relation entre l'homme et son gibier est donc marquée par une forte composante érotique. Le verbe « chasser », correspond à l'expression « s'éprendre des animaux ,caresser » Chasser équivaut pratiquement à faire la cour et à copuler, c'est pourquoi cette activité doit être préparée avec le plus grand soin, selon des règles strictes. L'idée manifeste est que le chasseur doit attirer sexuellement les animaux pour qu'ils approchent et se laissent tuer. « Les animaux sont comme des jeunes filles coquettes »,. Le chasseur essaie même de « caresser » de la sorte des animaux dangereux, tel l’anaconda ou le jaguar. Pour arriver à ses fins, l'homme se donne l'apparence d'une personne sexuellement attrayante, donc amicale et inoffensive. Pour obtenir ce pouvoir de séduction, le chasseur dispose de moyens divers: abstinence sexuelle, dont la conséquence est un état latent d'excitation; pureté physique, obtenue grâce à des bains, des émétiques et des jeûnes ; pureté rituelle de ses armes ; emploi de plantes aromatiques au parfum enivrant; peinture faciale dont le rouge est érotique ; consommation de tabac; amulettes spéciales et formules magiques. S'il ne néglige aucun de ces moyens, l'homme peut entreprendre la chasse sans souci.
La principale condition pour la chasse est evidemment l'abstinence sexuelle. Au moins un jour avant d'entreprendre une partie de chasse, l'homme doit éviter tout accouplement et tout rêve à contenu erotique, sinon « les animaux seront jaloux et se sentiront volés. Seul celui qui n'a pas eu de rapports sexuels peut compter sur la sympathie des animaux ». En outre il faut qu'aucune femme ou jeune fille de la maloca n'ait ses règles. Ces trois conditions constituent un système de contrôle très rigide, qui limite remarquablement les activités du chasseur et contribue à l’équilibre de l’environnement. Si un homme du groupe n'a pas suivi de façon rigoureuse les prescriptions, notamment celles qui se réfèrent à l'abstinence sexuelle, les chasseurs ne rencontreraient que des anacondas, qui se jetteraient sur eux pour les attaquer, ou ils n'entendraient t que des rires dans la forêt, provenant des animaux moqueurs. Le chasseur doit aussi être attentif aux signes tels les cris des oiseaux, qui sont des indices de succès ou d'échec de la chasse. Quand le chasseur approche sa proie, la caille sautille et « danse », en signe de bonne chance ; par contre, si cet oiseau se déplace sur le sol en courant, ce qui lui est habituel, l'issue de l'entreprise sera mauvaise et il est préférable que l'homme regagne sa maloca. Les points d'eau et les endroits où les tapirs, les porcs sauvages et les cervidés se vautrent dans la fange, sont des lieux spécialement préparés par Wai-maxsë, et doivent être compris en tant que tels.
" Les invocations constituent une partie importante des préparatifs de la chasse. Généralement elles sont prononcées par le payé, qui au préalable absorbe du Vixô pour se mettre en contact avec Vixo-maxsë, intermédiaire entre lui et Wai-maxsë ou d'autres êtres surnaturels. Les formules sont multiples. Avant tout le payé essaie de savoir où se trouvent les animaux. Pour les amener à se rassembler dans un endroit déterminé, le payé, en transe et en fumant du tabac, prépare la place en la rendant accueillante : il y met des herbes fraîches et de l'eau propre. Le payé « sucre » l'eau que les animaux viennent boire, lui donnant une saveur d'ananas, « saveur de lait maternel ou de lait de la Fille du Soleil …Quand on chasse avec des pièges , technique que l'on utilise surtout pour attraper des oiseaux ou des rongeurs, les invocations correspondantes comparent le piège à un jardin, où il y a de petits fruits rouges ou d'autres plantes particulière¬ment agréables.. Sur les voies d'accès au territoire de chasse, ou à l'endroit où les pièges ont été placés, le payé dresse une série d'obstacles magiques au moyen de formules rituelles : des troncs, ou des branches, ou encore, il creuse des fossés, pour que les Bordro, les serpents ou d'autres bêtes féroces ne s'approchent pas. Il leur prépare, par contre, de nouveaux chemins, dégagés et attrayants, afin de les éloigner de l'endroit de la chasse.
Dans les invocations le payé se réfère aussi directement aux chasseurs, les présentant comme des hommes bienveillants et inoffensifs, non seulement à l'égard des animaux mais aussi à l'égard de Wai-maxsë. Le payé parle de leur pouvoir de séduction, de leur pureté et de leur parfum, qualités qui « féminisent » les chasseurs et les transforment en objets sexuels pour Wai-maxsë. Celui-ci « en tombe amoureux et essaie de les caresser ». le but poursuivi est de « plaire » au Maître des Animaux et de le disposer favorablement à l'égard des hommes. Il faut noter qu'au cours des invocations, le payé ne parle jamais de tuer ni de nourriture; en s'adressant aux animaux ou à Wai-maxsë, le chaman parle de « rendre amoureux », de « caresser » et d'autres attitudes erotiques, mais il ne réclame jamais ouvertement que les animaux se laissent tuer pour servir d'aliment aux hommes.
Quand on attrape sa proie et qu'on l'achève, il faut encore suivre certaines règles. S'il s'agit d'un cervidé, on lui coupe aussitôt la langue et on l'enterre à l'endroit même où l'animal a été abattu. Ensuite on fume du tabac et, en soufflant la fumée sur cet endroit, on demande pardon à Wai-maxsë. La langue est en effet considérée comme la partie essentielle de cet animal, parce que les cervidés « parlent ». En enterrant la langue dans la forêt, le danger d'une vengeance de Wai-maxsë serait détourné de la maloca et reporté sur le lieu de l'inhumation, qu'on évitera désormais. On raconte l'histoire d'un chasseur qui ne suivit pas ce rituel et qui, traînant son gibier à travers la forêt, se trouva devant un cervidé immense qui lui barrait le passage; l'homme essaya de s'enfuir, mais « l'esprit » de l'animal le poursuivit."
G.REICHEL-DOMATOFF .DESANA.GALLIMARD.
CONSULTER LES SITES/
https://www.peuplesamerindiens.com/pages/amerindiens-d-amerique-du-sud
https://www.rendezvous-carnetdevoyage.com/repertoire/alessandro-pignocchi/
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