Face au virus, les deux têtes de l’exécutif se partagent les rôles. Au président l’incarnation de la nation « en guerre », au premier ministre les comptes à rendre.
Journée chargée ce jeudi pour le locataire de Matignon. Ce matin, le premier ministre doit recevoir en réunion dématérialisée les principaux chefs de parti des groupes politiques représentés au Parlement – Olivier Faure pour le Parti socialiste, Jean-Luc Mélenchon pour la France insoumise, Fabien Roussel pour le Parti communiste, Christian Jacob pour « Les Républicains » ou encore Marine Le Pen pour le Rassemblement national – pour faire un point sur la situation sanitaire. Puis, ce soir, c’est sur TF1 et LCI et devant les Français qu’Édouard Philippe, flanqué de spécialistes de la santé, devra rendre des comptes. Mercredi soir, il devait déjà faire l’objet d’une audition « dématérialisée » par 31 députés de la mission d’information parlementaire sur la gestion de l’épidémie.
La façon dont les deux se mettent en scène en dit long
Dans ce drôle de corps bicéphale qu’est l’exécutif de la Ve République, la distribution des rôles est désormais bien connue. Au chef du gouvernement la première ligne, les tâches ingrates : répondre aux interrogations et critiques de l’opposition, des journalistes, des Français. À Emmanuel Macron les beaux concepts, les grandes idées, la hauteur régalienne, l’incarnation nationale. Macron commande, Philippe exécute : une mécanique déjà observée pendant la séquence des retraites, mais qui n’a jamais semblé aussi vraie que durant cette crise. La façon dont les deux se mettent en scène en dit long. Le président de la République, durant ses interventions de crise, est apparu deux fois (les 12 et 16 mars) seul à son bureau du navire élyséen, en amiral de guerre. Puis, le 25 mars, seul encore (à l’exception de l’interprète en langue des signes), c’est l’hôpital de campagne de Mulhouse qui lui sert de décor. Le 31 mars, enfin, près d’Angers, c’est une usine de masques qui fait office d’arrière-plan. L’Élysée, l’armée, l’industrie, le message est clair : le chef de l’État est supposé faire corps avec la nation.
Édouard Philippe n’a pas le droit à une scénographie aussi grandiloquente. Le 14 mars, dans son discours d’annonce des fermetures des restaurants, bars, cinémas et autres lieux « non essentiels », l’ex-maire du Havre doit se contenter d’un fond blanc épuré, d’un drapeau tricolore et de la présence de Jérôme Salomon, directeur général de la santé (DGS). Le haut fonctionnaire et infectiologue, numéro deux du ministère de la Santé, apporte la caution experte et scientifique au discours « pratico-pratique » de l’adjudant Philippe. Il devrait être présent ce soir lors de son passage télévisé.
Incarnation de la technocratie macroniste, Benoît Ribadeau-Dumas
Pour assumer ce rôle, le premier ministre peut compter, outre le DGS, sur plusieurs figures clés dans son cercle restreint. À commencer par le petit nouveau, le général Richard Lizurey, chargé depuis une semaine de mettre de l’ordre dans la gestion gouvernementale de crise. Disposant d’un bureau dédié à Matignon, l’ex-directeur général de la gendarmerie nationale, ancien conseiller des ministres sarkozystes Brice Hortefeux et Claude Guéant, a pour « fait d’armes » notable l’évacuation violente de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
Mais le véritable binôme d’Édouard Philippe, son homme de confiance, c’est Benoît Ribadeau-Dumas, son directeur de cabinet. Numéro deux de Matignon, il est de toutes les réunions du noyau dur qui prend toutes les décisions avec Édouard Philippe donc, le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, et Emmanuel Macron, à qui il revient de trancher. Énarque issu de la même promotion qu’Édouard Philippe (1997), dont il est un ami intime, pantouflard comme lui (chez Thalès, puis le parapétrolier CGG, puis le groupe aéronautique Zodiac), Benoît Ribadeau-Dumas incarne la technocratie macroniste, un pied dans l’État, un pied dans le privé, tant critiquée durant la crise des gilets jaunes.
D’après le Monde, il fait partie des hauts fonctionnaires à avoir plaidé en faveur du maintien du premier tour des élections, le 15 mars, avec Alexis Kohler et le premier ministre lui-même. Une décision dont la responsabilité dans la propagation du virus devra être encore évaluée. Édouard Philippe n’a pas fini de rendre des comptes.
Cyprien Caddeo L’HUMANITE 02avril 2020