Parmi les sept pendants d’Ochtervelt, seuls deux sont totalement confirmés [1]. L’originalité des sujets mérite néanmoins ce court article.
Le cavalier qui embrasse (The Embracing Cavalier) (44.6 x 35.6 cm) Le cavalier qui dort (The Sleeping Cavalier) (46 x 37.7 cm)
Jacob Ochtervelt, 1660-65, Manchester Art Gallery
Malgré la légère différence de taille, il est probable que ces deux tableaux, qui montrent les mêmes personnages, aient été conçus comme pendants.
Le cavalier qui embrasse
L’ardoise au mur, biffée de nombreux traits, et la pipe cassée sur le sol, indiquent que le cavalier et son compagnon – qui dort affalé sur le jeu de backgammon – ont largement bu et fumé. La cage à oiseau identifie l’auberge comme un bordel (voir La cage hollandaise) : tandis que la tenancière amène un dernier verre, l’entraîneuse, tout en évitant un baiser, lève le bras gauche du cavalier pour vérifier qu’il est à point.
Le cavalier qui dort
Au matin, il s’agit de vider les lieux : la tenancière approche probablement une braise sous le nez du cavalier, tandis qu’un compère lui corne à l’oreille. Le coussin a été replacé sur le tabouret, et un chien dort par terre à sa place, rappelant avec humour le joueur assommé par le vin.
La logique du pendant (SCOOP !)
L’événement mis entre parenthèses est non pas une nuit d’amour dans les bras d’une fille – comme le cavalier l’espérait – mais un sommeil lourd seul sur la chaise.
Cavalier à sa fenêtre, Städel Museum, Francfort (29 X 23 cm) Femme chantant à sa fenêtre, collection privée (26 X 19,5 cm)
Ochtervelt, 1668
Ce pendant probable (malgré la légère différence de taille) se rattache à la formule des demi-figures de l’Ecole d’Utrecht, et en particulier aux musiciens vus dans une fenêtre de Honthorst, en 1623 (voir Les pendants caravagesques de l’Ecole d’Utrecht).
L’ordre d’accrochage héraldique est le plus intéressant d’un point de vue narratif, puisque l’homme au béret rouge apparaît écoutant la main sur le coeur, et sans qu’elle ne s’en doute, le chant de la jeune femme qu’il aime.
Violoniste à sa fenêtre, collection privée (26,9 x 19,5 cm),
Une autre possibilité est d’apparier la chanteuse avec un violoniste peint par Ochtervelt à la même époque : à noter que la fenêtre du violoniste, abîmée, a été restaurée récemment sur le modèle de l’autre, ce qui force artificiellement la ressemblance. [2]
Vendeur de volailles à la porte, localisation inconnue (77,5 x 62 cm) Vendeuse de cerises à la porte, Museum Mayer van den Bergh, Anvers (78 x 62,9 cm)
Ochtervelt, 1668-69
Dans les deux tableaux,la lumière vient du même point, en haut à gauche. Les compositions sont symétriques :
- la maîtresse de maison, debout, paye le marchand ou supervise la pesée ;
- une servante présente une volaille (interceptée par le chien) ou un plat vide pour les cerises (interceptées par la petite fille) ;
- deux objets circulaires se répondent en pleine lumière : le paillasson et le panier de cerises.
Le système perspectif montre une différence notable, et probablement délibérée, de point de vue :
- dans le premier tableau, le spectateur regarde la scène du point de vue de la maîtresse de maison ;
- dans le second, il la regarde du point de vue de la vendeuse agenouillée.
A noter que les deux portes, rectangulaire à battant plein ou en arc de cercle à demi-battant, ont la même largeur et à peu près le même position, ce qui contribue fortement à l’unification des deux scènes.
Vendeuse de raisins à la porte (81 x 66,5 cm) Vendeuse de poissons à la porte (81,5 x 63,5 cm)
Ochtervelt, 1669, Ermitage, Saint Pétersbourg
Ce second cas en revanche me semble très douteux du point de vue du fonctionnement en pendant :
- trop d’éléments redondants (la vieille marchande, le chien, le panier par terre, la servante qui présente le plat vide) ;
- éclairage incohérent : venant de la gauche puis du centre (voir les ombres convergentes du baquet et du chien).
Enfin le système perspectif, très approximatif dans chaque tableau (les erreurs sont en rouge) ne montre aucune intention d’ensemble.
Je pense donc que ces deux tableaux ne sont vraisemblablement pas des pendants, mais des variantes sur le thème de la vente sur le pas de la porte.
Joyeuse compagnie avec un violiniste, Chrysler Museum of Art, Norfolk (115 x 102 cm) Musiciens et femme avec un plateau dans un jardin, collection privée (118,7 x 107 cm)
Ochtervelt, 1670-74 ou 1655 (Kuretsky 1979)
Ce pendant présumé met en scène deux joyeuses tablées, en intérieur et en extérieur.
Il est vrai que certains éléments se répondent :
- le violoniste en cuirasse, debout vu de dos ou assis vu de profil :
- la porteuse de plat et le porteur d’huîtres.
Mais la composition ne révèle aucune forme d’unité :
- d’un côté le violoniste se situe en position centrale, entre deux couples ;
- de l’autre il est intégré dans un trio musical.
La taille et la provenance différente militent également en faveur d’un faux pendant
Homme en cuirasse offrant de l’argent à une jeune femme (89 x 73 cm) Jeune femme au virginal avec un joueur de luth (89,5 x 69 cm)
Ochtervelt, 1671-73, localisation inconnue
Ce pendant confirmé montre en revanche une grande symétrie :
- la même jeune femme (ou du moins portant la même robe) est vue de trois quart arrière ou de trois quarts avant ;
- le même chien est vu de face, puis de dos.
En revanche l’homme assis ne porte pas les mêmes vêtements dans les deux scènes : en cuirasse, bottes et chapeau dans la première, en habits d’intérieur dans la seconde.
La logique du pendant
Pour Cornelia Moiso-Diekamp ([1], p 404) le pendant serait à lire chronologiquement :
- d’abord l’accueil (une pièce contre un verre de vin… ou plus) ;
- ensuite la partie de musique.
Je pencherais quant à moi plutôt pour une interprétation morale, qui rend mieux compte des habits différents de l’homme, et de la position du chien :
- la relation vénale (ou l’union charnelle) : la femme s’est avancée entre les cuisses du soldat, le chien assis derrière son maître souligne la subordination de l’homme, réduit à tendre la patte à sa belle maîtresse ;
- la relation amicale (ou l’union spirituelle) : les deux sont séparés par la table et ne se touchent que par le regard et la musique de leurs cordes ; au beau milieu le chien lève son museau vers le haut, symbole de fidélité et de désir d’élévation.
Le buveur galant, collection privée (63,5 x 51,4 cm) La visite du docteur, Manchester Art Gallery (62,5 x 50 cm)
Ochtervelt, 1675
Terminons par un pendant confirmé, pour lequel les symétries sont flagrantes :
- la servante pétant de santé, debout et décolletée se transforme en une jeune fille riche, assise et frileuse ;
- le soldat assis en médecin debout ;
- la vieille femme complaisante en mère inquiète ;
- le chien intéressé par le verre de vin en chien dégoûté par le pot de chambre ;
- la flasque de vin en fiole d’urine ([3], N° 26).
Une première lecture consistait à voir dans le pendant une admonestation moraliste contre la débauche, en montrant sa conséquence désastreuse : la grossesse.
La visite du docteur, Manchester Art Gallery (62,5 x 50 cm) Le buveur galant, collection privée (63,5 x 51,4 cm)
Mais comme l’a montré Laurinda S. Dixon [4], la lecture est en fait inverse :
- le premier tableau montre la furor uterinus, maladie causée chez les jeunes filles de bonne famille par une abstinence trop prolongée ;
- et le second son remède facile.
Le galon de la robe, qui conduit le regard de la main posée sur l’entrejambe à la chaufferette béante, avec son fourneau repli de braises, donne une bonne idée de la source du problème.