La situation vis-à-vis du coronavirus a permis de mettre en exergue, aux yeux du gouvernement, la problématique du savoir-faire d’une nation et, dans ce cas précis, de la France. Les conséquences, dans les diverses réponses nationales à cette pandémie, ont montré le caractère pertinent pour un gouvernement d’avoir un certain contrôle dans ses domaines stratégiques et surtout militaire.
La capacité à protéger le périmètre industriel militaire est en France une donnée fluctuante. La vente de certains groupes à des intérêts étrangers[1] a montré les limites de la définition de ce périmètre. Si l’appareil d’Etat, par le biais notamment de la Délégation Générale à l’Armement, veille à conserver une certaine maîtrise de son industrie de Défense, la situation est beaucoup plus compliquée pour les petites entreprises qui représente un intérêt stratégique pour leur innovation. Les entreprises de taille intermédiaire, les PME et les très petites entreprises, ont une relation compliquée avec les grands groupes. Ces derniers ont pris l’habitude de se comporter comme des grands comptes à l’égard de sous-traitants.
En Allemagne, des grands groupes acceptent de cohabiter avec un réseau d’entreprises plus modestes, sans chercher à les « vampiriser ». Il est donc difficile en France de protéger les innovations industrielles intéressant le monde de la Défense qui échappe au cœur industriel défini par la DGA.
Le cas d’école Photonis
Il s’agit d’une société française pionnière dans le domaine de la fabrication de composants électro-optiques et de capteurs de haute précision. Elle est un des leaders mondiaux dans la fourniture de capteurs pour les constructeurs de lunettes de vision nocturne. Cette société française est la cible de trois sociétés américaines (Teledyne, Heico et Excelitas) où les offres de rachats sont au-delà de la capacité financière, à ce jour, des différentes options de l’État français.
À l’origine, la société faisait partie du groupe Philips jusqu’en 1998 où elle est devenue indépendante et a gagné, depuis, plusieurs prix d’innovation. Actuellement, elle équipe les forces spéciales françaises dans son activité principale mais s’est aussi engagé dans une diversification dans des domaines tout aussi sensibles. Grâce à cette dite diversification, ses produits sont présents dans le laser Mégajoule, les sous-marins nucléaires, les satellites et, même dans le satellite Hubble. Cette société est un des fleurons de l’industrie militaire française grâce à son savoir-faire, son département recherche et développement, sans oublier son apport économique dans le département de la Corrèze.
Le cas de la société Photonis met en exergue deux problèmes :
- La protection des« pépites » dans le domaine militaire en décourageant tout potentiel acheteur étranger.
- L’aide financière à apporter au développement de ces petites sociétés.
Quel intérêt d’acquérir Photonis pour une puissances étrangère ?
Durant les décennies du 21ème siècle, les technologies militaires sophistiquées sont devenues de plus en plus cruciales d’un point de vue stratégique pour les capacités de projection et d’interventions et, par conséquent, d’influence. Au-delà de tous les différents produits que propose la société Photonis, son produit phare a toujours été les capteurs pour les lunettes de vision nocturnes.
Dans ce domaine-là, toutes technologies relatives aux lunettes à vision nocturne militaires ont toujours été monochrome (noir et blanc). Photonis a réussi à développer un capteur couleur pour ces lunettes à vision nocturne militaire. Cette technologie, qui n’a aucun intérêt pour le particulier, est d’une importance primordiale pour le monde militaire. Avoir la mainmise sur cette technologie permettrait à toute forces spéciales d’une nation de pouvoir suivre, de jour comme de nuit, une personne selon un habit spécifique, à titre d’exemple.
Cette technologie, malgré tout, n’est pas tout à fait au point et est limité, sur un environnement nocturne de cinq niveaux allant d’une nuit claire de pleine lune sans nuage jusqu’à une nuit sombre sans lune avec nuages, à un niveau trois. Le niveau trois représente une nuit avec quart de lune et une couverture nuageuse, mais le système reste très énergivore.
Toutefois, cette technologie reste un savoir-faire français d’une capacité redoutable, et ce autant sur un plan économique (exportations aux alliés, contrats gouvernementaux …) que sur un plan d’exemplarité (amélioration des capacités de l’armée, des organismes de renseignement et des forces de l’ordre françaises). La maîtrise de ce savoir-faire permet d’obtenir un levier sur les capacités stratégiques et économiques pour la société Photonis afin d’être déployer d’un point de vue militaire.
Quelle stratégie pour ne pas perdre Photonis ?
La société Photonis est détenue par un fond d’investissement français, Ardian, qui souhaite la revendre. Dans le cadre de cet appel d’offre, aucune société française ne s’est manifestée. Bien qu’il n’y ait eu aucune intervention française, trois sociétés américaines ont répondu à cet appel d’offres. La première, du nom de Teledyne, est une société américaine directement concurrente de Photonis et qui a déjà absorbé une soixantaine d’autres sociétés d’un point de vue guerre économique en fusion horizontale depuis son existence. Elle reste le leader en proposant la meilleure offre financière à hauteur de 500 millions de dollars.
Excelitas serait positionné dans le cadre du rachat pour une fusion horizontale car nous pouvons voir que certains de leurs produits sont rattachés à Photonis. Cette société, tout comme Teledyne, est présente sur les marchés des capteurs et sa politique offensive la fait apparaître dans les analyses de marchés. Heico est aussi en liste pour ce rachat dans un rachat de fusion horizontale comme le montre ses métiers sur les secteurs de l’aérospatiale, l’industrie, la défense et l’électronique. Un quatrième repreneur américain du nom de Transdigm serait aussi de la partie mais sans qu’il y ait de confirmation. Il est à noter que si aucune information n’a pu être réellement confirmé pour ce repreneur, il est un réceptacle très important du Pentagone. Toutefois, au vu de la capacité financière de Teledyne, Heico et Tansdigm sur le marché de l’aérospatiale et de la défense, la question se pose de savoir s’il n’y a pas une technique d’encerclement cognitif.
Que fait l’État français ?
Dans le cadre de cette offre de rachat, l’État français est intervenu. Il a dans un premier temps mobilisé les sociétés nationales, fleurons de l’innovation en technologie de pointe française, que sont Safran et Thalès. Après avoir été invité à un tour de table par la banque Lazard (en charge du dossier et en contact avec les potentiels repreneurs américains), ils s’avèrent que ces deux sociétés ont décliné la proposition de rachat. Malgré ce lâchage des grands groupes, le gouvernement français a fait clairement savoir de manière publique qu’il allait apposer son veto. La crainte d’un scandale l’a peut-être incité à prendre les devants. Mais il existe d’autres cas Photonis sur lesqules le pouvoir politique va devoir se pencher.
L’État français a bien créé un fonds souverain pour la défense mais, faute de moyens financiers suffisants, il ne peut même pas s’aligner sur les offres étrangères. Autrement dit, l’exécutif français a encore beaucoup de difficultés à mettre en place un système de gestion à vocation patriotique dans le choix de ses fournisseurs, pour une armée nationale fortement dépendante des technologies de pointes pour maintenir un véritable niveau de performance.
Fabrice Villa
[1] Cas d’Alcatel (activité dans la pose des câbles sous-marins) et d’Alstom (fabrication de turbines utilisées notamment pour des navires militaires à propulsion nucléaire).
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