Rappelez-vous ce vers de Baudelaire, " Et l'espérance comme une chauve-souris s'en va battant les murs de son aile timide en se cognant la tête à des plafonds pourris ". Tout au début de la crise, la chauve-souris a été prise comme bouc émissaire, responsable des émissions du virus, ce terrible " Ennemi ", qui sévit actuellement sur notre pauvre navire au-dessus duquel " le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle ".
L'univers est souvent sombre chez ce " prince des nuées ", " Roi d'un pays pluvieux " qu'est Baudelaire ... Mais, à sa façon, en cette période de confinement, il nous montre l'exemple. La " chambre " dans laquelle il se réfugie peut être aussi bien " chambre à spleen " que " chambre à air ". Elle est de toute manière, comme le montre l'un de ses " Poèmes en prose ", " double ", parce que transfigurée. À la fois menacée par les spectres, et les " Angoisses despotiques ", ce " peuple muet d'infâmes araignées vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux " et sublimée par les splendeurs de la Beauté et les lueurs des " Phares ".
Baudelaire a toujours été ainsi, dès son adolescence, un poète du confinement. Envoyé à dix-huit ans vers les Indes sur un cargo, ce voyageur immobile se planquait dans la soute pour laisser fleurir les fruits de son imagination. Pendant que les " hommes d'équipage " s'agitaient sur le pont du navire " glissant sur les gouffres amers ", lui, dans l'indolence, contemplait le ciel. Ainsi, dans le poème qu'il a tiré de cette expérience, la " chauve-souris " se métamorphose en " albatros " aux " grandes ailes blanches ".
Il se peut bien qu'il ait ainsi voulu représenter la double aspiration qu'il y a dans l'homme, l'ange et la bête, le pire et le meilleur. Mais aussi cette double capacité à mettre à son navire, soit un " plafond pourri ", soit " Ordre et beauté, luxe, calme et volupté ", " musique comme une mer " et " parfum d'huile de coco, de musc et de benjouin ".
Et au bout du voyage, lorsque ce fichu " plafond pourri " aura volé en éclats, il faudra bien espérer pour l'homme d'équipage qui ne connaît encore que les " brûle-gueule ", qu'il accoste avec le poète dans une " ile paresseuse où la nature donne des arbres singuliers et des fruits savoureux ". La planète et les tableaux parisiens s'en porteront mieux.