Pendant cette période spéciale de confinement et d’annulations de salons littéraires, j’ai eu l’idée d’interviewer quelques auteurs. De quoi nous changer les idées et leur donner une visibilité supplémentaire.
Anne-Laure Bondoux a bien voulu répondre à mes questions.
Bonjour Anne-Laure Bondoux,
Vous étiez invitée au Printemps du livre de Montaigu l’année dernière, salon dont la tenue a été annulée cette année comme de nombreux autres événements du Printemps, et par le Grand R à la Roche sur Yon au mois de janvier 2020.
Vous avez bien voulu répondre à quelques questions pour le club des lecteurs yonnais.
– Antigone : J’ai fait votre connaissance au Festival Rue des livres à Rennes, en 2017. Vous étiez alors dans la partie jeunesse du salon. Vous écrivez en effet principalement pour les plus jeunes. Pouvez-vous nous raconter comment, au début de votre carrière d’écrivain, vous avez commencé à écrire pour eux ?
Anne-Laure Bondoux : Ce sont les « hasards » de la vie (en sont-ils ?) qui m’ont amenée à travailler pour la Presse Jeunesse. En 1996, je suis entrée chez Bayard Presse avec la mission de réfléchir à un projet de magazine susceptible d’intéresser des lecteurs de 9 à 12 ans. Je travaillais au sein de la rédaction de J’Aime Lire, magazine que j’avais moi-même lu lorsque j’étais enfant. Cet environnement m’a immédiatement plu, je m’y suis sentie accueillie, et de fil en aiguille j’ai commencé à publier des histoires pour les enfants dans Astrapi, J’Aime lire, les Belles Histoires etc. À l’époque je voulais devenir écrivain, mais je n’avais pas pensé à écrire pour les jeunes. J’ai vite compris combien cette littérature pouvait être riche, vaste, aventureuse et importante, aussi. Car proposer des histoires, des émotions, bref de la littérature dès le plus jeune âge permet de « fabriquer » les lecteurs adultes. J’ajoute que, publiant ensuite mes premiers romans chez Bayard Editions, j’ai toujours souhaité écrire aussi pour les adultes car (en France, surtout) on a tendance à enfermer les créateurs dans des boîtes, et je n’avais pas envie d’être cantonnée à un registre ni à un genre.
– Antigone : J’ai acheté sur ce salon Et je danse aussi, que vous avez écrit à quatre mains avec Jean-Claude Mourlevat, et qui n’est pas du tout pour le coup un roman jeunesse. C’est un roman épistolaire qui reproduit une correspondance entre deux adultes, une lectrice et un écrivain célèbre. Pouvez-vous nous expliquer comment Jean-Claude Mourlevat vous a incité à entreprendre ce récit ?
Anne-Laure Bondoux : J’ai connu Jean-Claude Mourlevat au fil des années, lors de différents salons ou festivals. Nous avons sympathisé, nous nous sommes lus, et en 2013, suite à une discussion d’ordre privé au sujet de nos difficultés d’écriture respectives, il m’a envoyé un mail qui s’adressait à un personnage fictif : Adeline Parmelan. J’ai pris ça pour un simple jeu. J’ai endossé le nom de ce personnage et répondu à Pierre-Marie Sotto… sans penser une seconde que je mettais le doigt dans un engrenage ! Six mois plus tard, à l’issue d’une longue improvisation qui nous avait littéralement réjouis, nous avions un manuscrit. Il nous plaisait, mais il n’était pas destiné aux ados – notre secteur habituel. Nous avons donc cherché un éditeur. Après cinq ou six refus, Fleuve a adoré le texte.
– Antigone : Une suite, Oh happy day, est sortie le 12 mars 2020 en librairie. Comme beaucoup d’autres lecteurs, j’attends la réouverture des librairies pour me la procurer. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez décidé de donner une suite à Et je danse aussi ?
Anne-Laure Bondoux : « Et je danse, aussi » a rencontré un très beau succès et de très nombreux lecteurs. Beaucoup, au fil des rencontres, nous ont réclamé une suite car le roman était doté d’une fin très ouverte. Pour moi, l’idée d’une suite était tentante ! J’avais adoré cette collaboration, et je m’étais attachée au personnage d’Adeline. Mais Jean-Claude, de son côté, redoutait qu’une suite soit moins bonne, artificielle, qu’on y perde l’essentiel, et je me suis rangée à ses arguments. Quatre ans sont passés. Nous avons chacun publié 2 romans en solo dans l’intervalle. Et soudain, alors que je ne m’y attendais pas, Jean-Claude m’a mise au défi de redonner vie à Adeline et Pierre-Marie ! Par jeu, j’ai proposé un point de départ, nous avons hésité pendant quelques semaines, mais très vite nous avons retrouvé le plaisir de cette correspondance : il était intact, voire plus grand encore ! Il nous a fallu 9 mois cette fois pour aboutir le manuscrit de Oh Happy Day, mais là, nous avions déjà l’éditeur 😉 ! Le roman est paru le 12 mars dernier. 2 jours plus tard, toutes les librairies ont fermé… Mais il sera toujours là à leur réouverture, promis !
– Antigone : Vous étiez l’année dernière invitée au Printemps du livre de Montaigu. J’ai acheté sur ce salon, Valentine ou la belle saison, sorti en 2018 chez Fleuve, qui est une très belle histoire, un roman encore cette fois-ci destiné aux adultes. Dans ce livre, nous rencontrons Valentine qui, à 48 ans, décide de rejoindre en province la demeure familiale pour faire le point sur sa vie, écrire un manuel sur la sexualité des ados et profiter de la présence de sa mère Monette et de son chat Léon, lorsqu’elle tombe sur une série de photographies gribouillées. Comment vous est venu l’idée de ce roman ?
Anne-Laure Bondoux : « Valentine ou la belle saison » est né de mon désir de donner une sorte de « cousine » au personnage d’Adeline Parmelan, justement. Valentine et Adeline sont très proches : elles me ressemblent aussi beaucoup, l’une et l’autre, même si leurs histoires ne sont pas la mienne. J’ai néanmoins prêté à Valentine un épisode fort de mon parcours personnel : la découverte tardive d’un secret de famille. Dans ma « vraie vie », ce choc s’est produit en 2008 (j’avais 37 ans) et à inauguré une véritable crise d’identité. Avec dix années de recul, j’ai pu écrire une fiction à partir des émotions qui m’avaient traversée, et surtout, j’ai pu introduire de la distance et de l’humour ! J’ai ancré le roman dans l’actualité de 2017 avec l’ambition de faire rire, ou disons de regarder avec tendresse les déchirements qui traversaient les familles, les amis, les collègues lors des élections présidentielles.
– Antigone : Vous étiez l’invitée du Grand R le 18 janvier dernier pour la Nuit de la lecture. J’ai assisté à la rencontre organisée en partenariat avec la bibliothèque de Venansault (85). C’était un chouette moment dans lequel s’est invité également Jean-Claude Mourlevat. Pouvez-vous nous dire ce que vous apportent ces moments avec les lecteurs et professionnels (ou bénévoles) du livre ?
Anne-Laure Bondoux :J’aime beaucoup rencontrer les lecteurs de tous les âges. Ces moments sont pour moi des temps d’échanges, souvent drôles et riches d’émotions, autour de la vie, de l’acte de création… C’est un équilibre pour moi qui suis d’une nature plutôt sociable alors que l’écriture requiert de longues périodes de solitude. Quand je vais à la rencontre des autres, c’est que le temps est venu de sortir de mon terrier. Je suis alors contente de m’ébrouer à l’air libre, comme une marmotte après l’hibernation… ou comme un humain qui sort du confinement !!
– Antigone : Vous nous avez expliqué, lors de cet entretien, que vous n’étiez pas de ces auteurs qui fonctionnent avec des plans. Pouvez-vous nous raconter comment alors, pour vous, un récit prend donc forme ? Répondez-vous simplement à des commandes d’éditeur ou à des envies personnelles ? Avez-vous des rituels d’écriture ?
Anne-Laure Bondoux :C’est vrai, je n’ai jamais de plan avant de commencer l’écriture. Et j’ai la chance de ne pas avoir à répondre à des commandes. J’écris à partir de ce qui m’intéresse, me questionne, m’émeut. Si je ne fais pas de plan, c’est parce que je n’en suis pas capable. Je suis instinctive, laborieuse, intuitive et brouillonne. Je travaille un roman à partir d’une sorte de question centrale qui me porte, puis d’une scène visuelle d’où découle le reste. Je « vois » mes personnages, je me laisse habiter par eux, je les porte longuement comme une mère porte un enfant, et lorsqu’ils sont viables, je les mets au monde, c’est à dire qu’ils sont prêts à m’emmener dans leur univers. En cours d’écriture, cela dit, je fais beaucoup d’aller-retours, je construis et déconstruis, je perds beaucoup de temps ! Mais ce n’est pas grave, c’est ma façon de fonctionner, j’en ai pris mon parti. Je cherche moins l’efficacité que l’authenticité. Sinon, pas de rituel en particulier. Quand je suis bien lancée dans un roman, je travaille tous les jours dessus, le plus possible. Mais la période de gestation est parfois très longue, méditative, un peu… angoissante. Vais-je encore y arriver cette fois ?
– Antigone : Enfin, je n’ai lu que l’adaptation en BD par Thierry Murat chez Futuropolis des Larmes de l’assassin. C’est un roman jeunesse à l’intrigue très forte. Quels autres de vos romans imagineriez-vous ainsi adaptés en BD ? Ou même en film ?
Anne-Laure Bondoux : Les larmes de l’assassin a été le roman qui a fait connaître mon travail en 2003. Il a reçu une foule de prix, a été traduit dans 25 pays. Et il a donc été adapté de très belle manière par Thierry Murat en BD chez Futuropolis. Un projet de film a été lancé, j’ai travaillé dessus durant des années avec la production, puis ça a capoté. Le cinéma coûte cher, c’est très compliqué de réunir les budgets… Ecrire un livre est plus simple ! Deux autres de mes romans sont en projet pour des adaptations BD à cette heure, mais je préfère ne rien en dire, c’est trop tôt. En tout cas, c’est un grand plaisir de voir quelqu’un d’autre s’emparer de mes personnages, de mon univers pour en faire autre chose.
Un grand merci à vous Anne-Laure Bondoux.