Évidemment, je ne suis pas très originale.
Depuis deux semaines que nous sommes assignés à résidence, tout le monde a déjà pensé à abreuver la toile de conseils de lecture, ou tout autre occupation pour bien vivre le confinement :
- gymnastique (pour ne pas devenir tous obèses)
- cuisine (car il nous faut assurer 3 repas par jour maintenant !)
- activités pour
dompter les fauvesoccuper les enfants - apprentissage d’une nouvelle langue (on ne sait jamais, ça peut servir)
- humour en mode survie (survie mentale surtout, après une journée de télétravail et de continuité pédagogique…)
- et tant d’autres…
Car nous sommes contraints d’apprivoiser cette situation inédite, cette étrange période en apnée, cet « encellulement » de tout un chacun, chiens et enfants compris (arglffvcoifpcnjc!!!), entre quatre murs, et un jardin pour les plus chanceux.
J’espère que vous allez bien d’ailleurs, vous et les vôtres.
La lecture revêt une importance accrue dans ce voyage autour de ma chambre. Quand on n’est plus accaparé par l’écume des jours, on retrouve du temps pour poser ses fesses sur le canap’ et partir à la recherche du temps perdu (j’en vois qui ricanent). Quand au bout d’une semaine de confinement on commence à se sentir à l’étroit, la lecture est le pays où l’on n’arrive jamais. (Note aux parents : le faire avant que les enfants soient levés, c’est là la promesse de l’aube). Et c’est parce qu’il manque cruellement de livres que le joueur d’échecs de Stefan Zweig manque de devenir fou.
Pour être très honnête, le temps libre reste un luxe pour moi, confinement ou pas. Certes mes journées sont remplies différemment depuis la fermeture des écoles : les trajets, et dans une moindre mesure mon travail, ont été remplacés par trois enfants à demeure 24h/24 et une dose de télétravail. Je ne lis donc ni plus ni moins que d’habitude…
Mais on ne se refait pas : pour appréhender cette nouvelle donne, j’ai cherché des références dans les livres que j’ai lus. J’ai besoin de faire des analogies pour comprendre un phénomène nouveau. Et croyez-moi, j’ai eu l’occasion d’y penser pendant que je donne sa purée au petit dernier ou le bain aux grandes – qui, parce que je rêvasse au lieu de les surveiller, se croient autorisées à jouer à Aqualand. J’ai donc choisi des lectures qui résonnent avec les thèmes actuels. Nous sommes tout de même plongés dans des circonstances, j’ose le dire, fascinantes et riches d’apprentissages, malgré leur côté anxiogène voire tragique pour ceux qui ont vécu des deuils, déjà (je compatis…). Voilà pourquoi ce ne sont pas les lectures les plus légères qui soient, et à l’occasion, on pourra aussi composer une liste de livres « d’évasion », qui permettent de penser à autre chose pendant une heure ou deux dans la journée.
On ne va pas y aller par quatre chemins, ce qui m’est venu à l’esprit en premier ce sont les fictions apocalyptiques et/ou dystopiques.
Une maladie contagieuse qui se répand comme une traînée de poudre, des pays entiers qui sombrent dans l’anarchie, des rescapés qui se réfugient dans un aéroport désaffecté, des communautés qui apprennent à se réorganiser… C’est l’excellent Station Eleven de Emily St-John Mandel, sorte d’élégie humaniste se déployant sur des décennies.
Un mal contagieux (eh oui, encore) rend les gens aveugles, un groupe de personnes se retrouve à vivre ensemble dans la nuit la plus complète, une seule personne parmi eux voit mais les autres ne le savent pas… C’est L’Aveuglement de José Saramago que j’ai le projet de relire cette année.
Dans Le mur de Marlen Haushofer, une femme doit apprendre à survivre dans un périmètre restreint, délimité par un mur invisible, tandis qu’autour d’elle, le monde semble tout bonnement s’être pétrifié. (Et elle n’a pas pu faire de stocks de pâtes, elle !)
Parlons enfermement, voulu ou subi, et mirages de la liberté : je vous propose Le désert des Tartares de Dino Buzzati et Moi qui n’ai pas connu les hommes de Jacqueline Harpman.
Intéressons-nous maintenant aux maisons. Ben oui, nos petits cocons protecteurs où nous sommes désormais reclus jusqu’à nouvel ordre… Les romancières anglaises ont le don de nous les faire voir sous un autre jour. Métaphores du for intérieur, lieux de passion hantés par la mémoire d’une disparue, organismes vivants, auriez-vous envie de vivre votre confinement…
- … à Thornfield-Hall, la maison de Mr Rochester, avec Jane Eyre de Charlotte Brontë ?
- … à Manderley avec Rebecca de Daphné du Maurier ?
- … dans la maison Vers le phare avec la famille Ramsay ?
Soyons lucides, nous sommes face à une épidémie qui va forcément un jour ou l’autre nous toucher, ou toucher un de nos proches (désolée de casser l’ambiance). Pour s’y préparer au mieux, pourquoi ne pas lire des « récits d’hospitalisation » (de gens qui s’en sont sortis, dans tous les sens du terme) ? C’est un genre qui se développe : voyez Le lambeau de Philippe Lançon, ou Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson (qui nous offre aussi de belles échappées sur les chemins de France, pour pas finir claustro).
Mais se réfugier dans un endroit confiné peut être thérapeutique, voire libérateur. C’est l’expérience de quatre femmes dans Avril enchanté de Elizabeth Von Arnim. Elles se donnent rendez-vous dans un beau château en Italie pour fuir un quotidien étouffant en Angleterre (bon, on attendra la fin de la pandémie pour faire pareil…).
Côté cinéma, j’ai récemment vu Les Survivants de Frank Marshall (1993) qui raconte l’histoire de cette bande de jeunes rugbymen uruguayens qui eurent un accident d’avion dans les Andes en 1972. Les rescapés survécurent dans la coque de l’avion pendant deux mois… avec les moyens du bord. C’est un honnête film catastrophe (même si les effets spéciaux ont bien évolué depuis) mais surtout un drame psychologique et moral qui nous permet de relativiser notre réclusion confortablement garnie de pâtes et de surgelés (hem) mangeables.
Pour finir sur une note positive, je vous laisse avec ce verset du psaume 132 (traduction de Stan Rougier) :
La table d’Emmaüs, d’Arcabas éèéAh ! qu’il est bon d’habiter tous ensemble,
d’être comme des frères, tous unis !