Mes premiers souvenirs remontent au mitan des années 50… Je suivais les résultats dans la “République du Centre”. Je me souviens avoir fait le pari avec mon père que le vainqueur de la première étape serait André Darrigade. Pourquoi ? Sans doute le nom m’avait-il plu…Toujours est-il qu’il gagna effectivement. Je le voyais déjà “en jaune” à Paris… Mais mon père m’expliqua alors que si c’était un très bon rouleur/sprinteur il n’avait pas les qualités requises dans la montagne où se jouait le résultat final.
Mon père me racontait fort volontiers l’anecdote du coureur Eugène Christophe, qui en 1913, alors qu’il était en tête dans l’étape du Tourmalet cassa la fourche de son vélo et dut la réparer lui-même dans une forge, sans aucune assistance (interdite par les règlements à l’époque).
Je me souviens qu’à l’école du Château-Gaillard, la fin des classes survenant nettement plus tard qu’aujour-d’hui, sans doute juste avant le 14 juillet (et aucun parent ne se serait avisé de retirer leurs enfants plus tôt) même si nous passions le plus clair du temps dans la cour pour une sorte de récré quasi permanente, nombre de nos jeux s’inspiraient du Tour de France (on peut donc tordre le cou à l’ineptie selon laquelle les filles ne s’intéresseraient pas au sport : l’école resta longtemps non-mixte…).
Pendant toute la période où j’ai travaillé, que ce soit à Orléans ou Paris, j’eus peu de temps pour m’intéresser au Tour de France, si ce n’est en survolant la presse et par les conversations entre collègues, notamment au restaurant d’entreprise.
D’ailleurs, la télévision ne diffusait à l’époque aucune étape en direct. Il fallut attendre le début des années 80 et pendant mes jours de congé ou la “coupure” dans ma journée de travail (j’étais la seule infirmière de la clinique à pratiquer cet horaire que j’avais choisi et qui convenait à tout le monde 8 h-13 h et 17 h - 20 h… j’en étais fort contente même si en hiver, surtout si j’avais sacrifié à une sieste réparatrice, il m’était fort difficile de m’extraire du confort douillet de la maison pour affronter le froid et les intempéries) je suivais fort volontiers les étapes du Tour, notamment de montagne.
Je me souviens avoir vu les débuts de Lance Armstrong dans une étape de montagne du Tour en 1993. Il arborait alors le maillot de champion des USA (il devient quelques semaines plus tard champion du monde sur route). Il était visible qu’il brûlait de se lancer à l’assaut du sommet, sans probablement avoir les ressources physiques suffisantes… Andy Hamsteen, son coéquipier de Motorola, très bon en montagne, ne cessait de tempérer ses ardeurs, lui intimant, par gestes, de rester dans sa roue…
Mon intérêt pour le Tour de France s’est effiloché en même temps que les affaires de dopage se sont multipliées.
Certes, elles n’ont jamais manqué. Bien avant la mort tragique de Tom Simpson en 1967 (dans les lacets du redoutable Mont Ventoux si ma mémoire ne me trahit pas). On pouvait espérer qu’un tel exemple éloignerait définitivement le peloton du dopage.
Or, depuis 20 ans, le dopage a pris une tournure quasi systématique et “industrielle” si j’ose dire… En 1988 Pedro Delgado fut contrôlé positif à la probénicide… Un diurétique qui a la particularité de masquer la présence d’anabolisants (lesquels permettent de gonfler artificiel-lement la masse musculaire et de doper l’énergie physique).
Or, si la probénicide était inscrite parmi les substances interdites par le CIO, elle ne figurait pas dans la liste de l’UCI… Ce qui valut à Delgado d’être acclamé en jaune à Paris, sans être autrement inquiété.
J’ai suivi avec une certaine méfiance les performances de Miguel Indurain. Même s’il n’a jamais été pris par la patrouille. J’ai toujours trouvé hautement suspect de voir ses “lieutenants” capables de l’emmener si haut dans les cols les plus ardus à la vitesse d’une mobylette ! Et renouveler cette performance plusieurs jours durant.
C’est sans doute pour cela que l’équipe Festina (entraînée par Bruno Roussel) institua le dopage systématique des coéquipiers de Virenque. Très bon grimpeur mais à mon avis bien incapable de gagner le Tour, notamment dans les étapes “contre la montre”. Une vraie catastrophe ! Ainsi donc Virenque - on se souvient que pour sa défense il déclara avoir été dopé “à l’insu de son plein gré”… formule qui fit florès et beaucoup rigoler - et ses compagnons durent quitter sans gloire le Tour 1998 à Corrèze.
On nous promit que rien ne serait plus comme avant, que le dopage disparaîtrait. Efectivement, on nota l’année suivante des moyennes moins hallucinantes… Comment ne pas soupçonner l’intervention de substances interdites quand on voit certaines étapes (200 à 250 km) couvertes avec une moyenne de presque 60 km/h ? Cela défie et l’intelligence et l’honnêteté.
Las ! Et sans doute grâce à des contrôles plus fréquents et systématiques ainsi qu’aux progrès scientifiques en la matière, les cas de dopage avérés ne cessent de se multiplier. Il fut longtemps impossible de détecter directement la prise d’EPO. Au départ un médicament utilisé, sous contrôle hospitalier, pour les personnes souffrant d’anémies graves et rebelles à tout autre traitement… qui a la particularité de favoriser l’augmentation du nombre et de la taille des globules rouges, d’où l’augmentation du taux d’hématocrite…
Cette substance est loin d’être sans danger si elle est prise par des sujets qui n’en ont pas besoin : les globules rouges surnuméraires et augmentés de taille risquent de favoriser des thromboses qui peuvent être mortelles si elles touchent de petites artères (notamment les coronaires qui irriguent le muscle cardiaque et dont la thrombose est à l’origine de l’infarctus du myocarde).
A une certaine époque, certains journalistes allèrent même jusqu’à fouiller les poubelles des hôtels où séjournaient les coureurs à la recherche de produits et contenus suspects… ils ne revinrent pas bredouilles !
La course aux performances (trop de fric en jeu pour les équipes et les sponsors) fait perdre toute lucidité. Beaucoup pratiquent un double langage qui ne peut que mettre en colère. Plus vertueux qu’eux, tu meurs ! Mais quand il y a quelques années, un jeune coureur français dont j’ai hélas oublié le nom, entreprit de faire un Tour “propre” et de le faire savoir par presse interposée, il subit l’ostracisme du peloton, managers comme coureurs, et finit par abandonner, en pleine déprime…
La liste des dopés est interminable et ne cesse de s’allonger.
Officiellement, le Tour 1996 n’a plus de vainqueur officiel depuis que le titre a été retiré à Bjarne Riis qui a reconnu (en 2007 !) s’être dopé pour l’emporter… Ce qui à mon avis n’avait rien de surprenant…
Un quasi inconnu qui «dépose» aussi facilement ses compagnons d’échappée dans une portion aussi difficultueuse d’une ascension (il semble me souvenir que c’est dans l’étape Le Monêtier-Sestrières) après s’être laissé distancer légèrement, laissant croire qu’il «calait» alors que tout simplement il faisait la revue d’effectif en toisant au passage ses adversaires et qu’il est au demeurant toujours plus facile de lancer une échappée en partant de l’arrière, ne serait-ce que pour l’effet de surprise qui fait perdre quelques précieuses secondes à ceux qui pourraient lui coller à la roue.
Cette performance m’avait parue toute aussi suspecte que les spectaculaires envolées de Marco Pantani, notamment dans la montée si difficile à l’Alpe d’Huez. Marco Pantani qui a fini comme un chien dans une chambre d’hôtel, drogué à la cocaïne qui est un des composants du fameux “pot belge” qui fait tant de ravages dans les pelotons, y compris dans les rangs des “amateurs”…
Il faut bien entendu ajouter à cet cohorte le très sulfureux Jan Ulrich… lequel ne parvint jamais à gagner un Tour de France… En 1998, alors qu’il était considéré comme un des vainqueurs potentiels, il subit d’abord une très grosse défaillance dans l’ascension du Col du Galibier avant d’être victime d’une crevaison dans la montée à l’Alpe D’Huez où Marco Pantani l’emporta dans des conditions météorologiques particulièrement épouvantables.
J’avais suivi cette étape avec d’autant plus d’intérêt qu’elle devait passer par La Grave… mais le plafond nuageux était si bas (j’ai eu souventes fois l’occasion de le constater quand j’y étais, notamment après le 15 août quand le temps se dégrade) que je fus déçue dans mon attente : l’étincellant et splendide panorama sur le massif de la Meije ne fut pas au rendez-vous.
Le palmarès de Jan Ulrich a été terni par plusieurs affaires de dopage. En 2002, il est contrôlé positif aux amphétamines et en 2006, impliqué dans “l’affaire Puerto” mettant notamment en cause un sulfureux médecin, Fuentes, surnommé «Docteur Mabuse» !
Depuis 2006, nous assistons à un véritable festival !…
En 2006, le vainqueur, l’Américain Floyd Landis, est contrôlé positif à la testostérone… Il sera dépossédé de son titre en 2007. Il avait conquis le maillot jaune dans une étape de montagne à la suite d’une spectaculaire remontée au classement général… la veille, il avait été victime d’une grave défaillance dans un col. J’étais partagée entre l’admiration et le doute qui désormais ne me quitte plus…
En 2007, les équipes Astana et Cofidis sont contraintes de se retirer du Tour en raison de cas de dopage avérés. Cette même année, Michael Rasmussen, le maillot jaune, est contraint par son équipe - bien tardivement ! - de quitter le Tour : il aurait menti sur le lieu de sa préparation pour le Tour afin d’échapper à des contrôles anti-dopage inopinés…
Cette même année 2007, j’avais juste suivi une étape de montagne à la télévision. Celle qui vit la performance d’Alexandre Vinokourov. Sans doute parce que le Tour, partant de l’Alpe d’Huez, devait passer à la Grave (le beau temps ne me cacha pas la Meije !). Si mes souvenirs sont exacts, il passa en tête dès le Galibier et parvint dès lors à décrocher ses adversaires dans une descente plus qu’acrobatique, ce qui lui permit de passer ensuite tous les cols avec une avance plus que confortable…
Il eût sans doute accumulé assez de minutes d’avance pour pavoiser en jaune à Paris si l’arrivée avait eu lieu en altitude. Le peloton, groupé, ayant eu le temps de se “refaire la cerise” dans les descentes et interminables portions plates qui menaient à l’arrivée…
Mais tout cela pour apprendre très vite qu’il était dopé jusqu’à la moelle (transfusions homologues) ce qui au demeurant ne me surprit guère.
J’avais alors commenté un article du Monde (”le tour de tous les dangers” ainsi que la photo qui l’accompagnait.
Ce dernier épisode me guérit définitivement de l’envie de regarder le Tour de France à la télévision… D’autant que j’ai fort à faire dans la maison et mes grands travaux, ce qui est bien entendu la priorité des priorités !
J’ai juste entendu parler sur France-Info des deux victoires du “jeune prodige” Riccó (dixit une alerte du Figaro qui annonçait qu’il venait d’être contrôlé positif à l’EPO - et plus exactement, la forme la plus récente de cette substance). Au moment de l’annonce de ses victoires, je ne pus m’empêcher de me demander s’il était “propre” !
Libération ironise dans un article : «Tour de France : la fin du cas Riccó»… (toujours aussi moqueuse, j’écrirais plus volontiers «la fin des haricots» !). Ricardo Riccó étant surnommé “le cobra” Libé parle de la vipère que sa mère a nourrie dans son sein : il aurait en effet affirmé à son manager sportif : «Je te jure sur la tête de ma mère que je ne prends rien !”»… Serment, non pas d’ivrogne mais de dopé.
Toujours est-il que la presse qui saluait ses victoires de manière quasi dithyrambique est bien forcée de “cuver” ce nouveau cas de dopage qui lui fiche une sacrée gueule de bois !
Nouveau coup dur pour le Tour de France… Le mot qui revient le plus souvent est “tourmente”… Pour le Figaro, «L’Italien Ricco plonge le Tour dans la tourmente»
LE MONDE | 18.07.08
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«20 minutes» rappelle fort opportunément qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé dans ce Tour 2008… «Le Tour se décharge de ses dopés».
L’Espagnol Beltran contrôlé positif dès la première étape, un autre Espagnol, Duenas exclu le 16 juillet après un contrôle positif à l’issue de la quatrième étape, Leonardo Piepoli (équipe Saunier-Duval, comme Ricco) lui aussi testé positif à l’EPO de dernière génération… dont un autre article de « 20 minutes » nous apprend qu’il avait déjà été contrôlé positif au salbutamol lors du Giro 2007, mais s’en était sorti en justifiant d’une autorisation thérapeutique.
Il s’agit d’une substance à courte durée d’action utilisée dans le soulagement des bronchospasmes dans des états tels l’asthme, et les broncho-pneumopathies chroniques obstructives…
Il est remarquable de constater dans le peloton autant de véritables «épidémies » d’asthme et de rhinites allergiques justifiant la prise de ce médicament ou de corticoïdes… lesquels sont inscrits depuis fort longtemps sur la liste des médicaments interdits par les règlements sportifs, sauf usage médical fortement encadré….
Christophe Moreau a été contraint de quitter ce Tour, à cause d’un taux de stéroïdes trop faible… Certains en concluront qu’il ne peut donc avoir pris des corticoïdes… Ce qui est précisément archi-faux : les glandes surrénales qui les produisent étant mises au «repos forcé» en cas de prise de corticoïdes n’en produisent plus assez spontanément… d’où l’obligation, dans les traitements au long cours par la cortisone, de «relancer» la production de stéroîde par l’ACTH de synthèse ou des substances ayant le même effet.
Je souhaite bien du courage à Patrice Clerc qui préside aux destinées d’ASO, société organisatrice du Tour de France… qui a le mérite d’être un adversaire acharné du dopage. Il ne baisse pas les bras et souligne les progrès constants en matières de tests et de dépistages. C’est un fait qu’il y aurait certainement moins de contrôles positifs si cela n’était.
J’en conclus donc que les coureurs qui continuent de se doper, surtout s’ils obtiennent des résultats - les vainqueurs d’une épreuve ou d’une étape sont systématiquement soumis à un contrôle anti-dopage - font preuve d’une connerie à toute épreuve, sachant qu’ils seront très certainement dévoilés par des tests de plus en plus “pointus”.
Le résultat serait sans doute différent si le dopage ne concernait que les “petits” coureurs qui figurent rarement aux palmarès, “porteurs d’eau” et autres “gregarios”…