J'ai lu, des années après, ce qu'un journaliste du
[...]
19 juin 1939 au matin, retour à Saint-Nazaire, notre point de départ. Ou presque. C'est sans compter sur les éléments naturels. Marée basse.
Nous sommes massés à l'avant du vapeur, à portée de vue de notre port d'attache, résignés au point d'espérer la montée des eaux.
L'attente est insoutenable. il faut que je sorte, peu importe si les latitudes atlantiques n'ont pas le charme des ciels rosés des Caraïbes vantés par la compagnie.
L'Amérique nous ferme les bras et l'Europe se fait désirer.
Le protocole est sommaire. A défaut d'orchestre, un sas forcé. Comme si les réfugiés que nous sommes devenus et les habitants de la cité portuaire se jaugeaient à distance.
Réacclimatation à l'humanité avant que la marée ne nous déverse sur le Vieux Continent.
Indiscutablement, notre échappée, à mille cinq cent kilomètres de Berlin, prenait des airs de fugue ratée mais notre bateau fantôme trouvait enfin un sanctuaire. On ignorait que le piège se refermait.
Une bande de juifs errants, des proscrits à la dérive sur un vaisseau pestiféré, voilà comme les autres nous considéraient. on voyait bien que les gens d'ici avaient du mal à y croire. A leur décharge, il faut reconnaître que le gros de nos troupes présentait bien.
Je me suis retrouvé, à juste titre dans le groupe des indigents. Dîner au buffet de la gare. Je me souviens seulement des grands saucissons et des carafes de vin rouge. Et puis transfert à l'hôtel des célibataires à Penhoët.les riches, eux, avaient fait sécession. De toutes les pensions de la ville, il fallait que les autorités nous dégotent une auberge miteuse avec un nom à coucher dehors. La maison du célibat pour des laissés-pour-compte, repoussés de touts parts. Phare avait écrit à propos de notre arrivée. " A bord, les réfugiés étaient, malgré tout, d'excellente humeur." Non monsieur, nous étions dignes. Et reconnaissants, en dépit de notre profond désespoir, à la France de nous accueillir. un permis de séjour valide au sein de la patrie des droits de l'homme valait mieux que les vaines promesses d'une Amérique.
Quand le vieux Altman m'a traduit le mot en allemand, je suis parti dans un fou rire incontrôlable.
La grande bâtisse, posée à deux pas des chantiers navals, était sordide. Les ouvriers n'avaient pas l'air ravis de notre débarquement. c'est le moins qu'on puisse dire. Ils nous dévisageaient. Certains, à notre passage, crachaient par terre; ça devait être la première fois qu'ils voyaient des Allemands.
quand à savoir ce qu'était un juif...
[...]"
Stanislas Mahé- extrait de: "Traversées" Editions Joca Seria
Une douce friandise offerte par Danièle:
"Je n'ai pas de fièvre.
Les jours se suivent et se ressemblent. Cellule de crise, entre angoisse, mauvaises nouvelles et solidarité, vaille que vaille. Des masques, toujours des masques : il faut se protéger et protéger ceux qui travaillent. Il faut trouver des solutions pour les commerçants, pour l'après, pour qu'on puisse se relever quand tout sera fini, pour ne pas que tout s'arrête complètement : comment ferions-nous si le marché couvert s'arrête, seuls commerces alimentaires du centre ville, seuls accès facile pour les personnes à pied. Si cela dure des semaines - et cela durera des semaines -, il faudra bien continuer de manger.
Cours pour mes élèves. Trouver au moins une bonne idée par jour, pour qu'ils se cultivent, pour qu'ils apprennent, pour qu'ils ne s'ennuient pas intellectuellement, pour qu'il ne régressent pas. Aujourd'hui, pour les troisièmes, leur faire découvrir le musée du Louvre, par le biais du clip de Jay-Z et Beyoncé et le site de visite virtuelle. Succès mitigé. Une élève a reconnu la Joconde. Et puis la proposition d'un journal du confinement, en commun, sur un padlet, en parallèle de la lecture du Journal d'Anne Frank. On verra ce que ça donne. Les faire écrire, les faire lire, les faire s'évader grâce à la culture.
Pour les 6e, L'Odyssée, les voyages d'Ulysse, les monstres, le cyclope, à dessiner, un monstre à créer aussi avec le site de la BNF. Et puis faire le portrait de sa création en une quinzaine de lignes. L'imaginaire pour oublier le réel déprimant.
Je l'imagine, leur réel. Des petits appartements, toute la famille, un seul ordinateur, une connexion chancelante, pas de livre. Pas de balcon, pas de jardin. Je ne sais pas comment ils ressortiront de tout cela. Je veux croire à la résilience de la jeunesse, je veux croire qu'ils en sortiront plus forts. Qu'ils aimeront l'école ensuite, qu'ils aimeront la vie, qu'ils voudront rattraper le temps perdu.
Et puis la maison. Je suis une privilégiée : j'ai tout ce qu'il me faut et je ne suis pas seule. J'ai de la ressource intellectuelle. J'ai de la lecture pour la vie entière et au-delà. J'ai un balcon, je joue de la musique, je chante et j'écris. J'ai une belle lumière, l'après-midi, qui baigne agréablement mon espace de travail : mon canapé. J'ai de la musique dans les oreilles, autant que je veux, tout ce que je veux. Conseil de lecture : la collection
On n'est pas égaux devant le confinement. Comme toujours. Comment ne pas penser aux SDF. Comment ne pas penser aux réfugiés. Comment ne pas penser gens seuls. A ceux qui passent sous mes fenêtres en errant, ceux que les hôpitaux psychiatriques ne prennent pas en charge...
L'humanité nue. Je suis obligée de rester chez moi, ce qui ne doit pas vouloir dire que je suis obligée de ne pas aider mon prochain. Notre société cultive, depuis bien trop longtemps, l'individualisme. Nous devons pourtant réapprendre à vivre en société, malgré l'isolement.
C'est une leçon bien paradoxale que nous inflige ce virus." Tracts de crise de Gallimard. Des textes nouveaux chaque jours, pour penser ce moment avec des intellectuels. Et mes collègues blogueurs de toujours qui ont repris du service : Elodie, Nicolas, Seb. Je ne m'ennuie pas. C'est une prison dorée.
des objets des histoires des rendez-vous pour se protéger