La Belgique tente péniblement de trouver une issue à la crise institutionnelle qui la mine
juillet 19th, 2008 Posted in Europe et International, FranceChez nos voisins, la crise politico-institutionnelle persiste de façon inquiétante. Elle se pose même avec une acuité nouvelle depuis que le roi Albert II a refusé, jeudi 17 juillet, la démission du très controversé Premier ministre Yves Leterme.
Le roi des Belges a certainement pris une très mauvaise décision en confirmant Leterme dans ses fonctions, même s’il l’a flanqué de trois « sages » pour tenter de modérer son irrédentisme flamand (le wallon démocrate-chrétien Raymond Langendries, le germanophone socialiste Karl-Heinz Lambertz et le francophone Bruxellois libéral François-Xavier de Donnea).
(Claude Semal : l’Europeu)
A la décharge du Souverain, on ne manquera pas d’observer que celui-ci disposait sans doute d’une marge de manœuvre quasi-nulle. Toutefois, il semble bien que son choix se révèlera, à court terme, contre-productif, au moins pour deux raisons :
D’une part, ce choix est contre-productif parce qu’il n’enrayera pas la nouvelle «réforme de l’Etat» réclamée à cor et à cri par le nord du pays. Il ne fera que l’exacerber. Ce n’est un mystère pour personne. Depuis la fin des années soixante et le début des années soixante-dix, la Belgique est secouée, environ tous les dix ans, par d’importantes réformes constitutionnelles qui la vident progressivement de sa substance. L’audiovisuel, l’enseignement, la recherche, ont été communautarisés (pour schématiser, le critère retenu est linguistique), tandis que les infrastructures routières, l’aménagement du territoire, les transports en commun, l’économie, l’emploi, le commerce extérieur, l’agriculture, le budget, les finances, les équipements, etc., ont été régionalisés (le critère est ici territorial). L’Etat a conservé certaines prérogatives régalienne traditionnelles (Justice, Diplomatie, Police fédérale, Armée, la Fiscalité fédérale, la sécurité sociale).
D’autre part, le choix du Souverain est contre-productif parce qu’il s’est reporté sur des « sages » francophones (en effet, la communauté germanophone – que préside le camarade Lambertz parfaitement bilingue – est rattachée à la région wallonne où l’on parle le français). Les Flamands (néerlandophones) ont fait pression sur le Roi afin qu’il opte pour cette formule. Le but est de briser le front du refus que les francophones du pays (40 % de la population, soit environ 4,2 millions d’habitants) ont opposé aux exigences flamandes d’une nouvelle régionalisation.
Les trois sages sont ainsi sommés de présenter au Roi un rapport de sortie de crise… pour le 31 juillet prochain ! En d’autres termes, c’est comme s’ils avaient un pistolet sur la tempe pour trouver en quelques jours ce que des gouvernements entiers ont été incapables de réaliser, c’est-à-dire une temporisation des réformes institutionnelles, une meilleure compréhension de ce que devrait être « la loyauté fédérale », une volonté de vivre ensemble…
Le stratagème est le suivant : en cas d’échec, une large partie de la classe politique flamande ne manquera pas d’en imputer l’entière responsabilité aux francophones qui souffrent, au nord du pays, d’une mauvaise réputation frisant, souvent, le racisme culturel. Pour les formations nationalistes et néo-fascistes flamandes, qui réalisent des scores électoraux impressionnants, les francophones sont régulièrement présentés comme des individus paresseux et assistés, veules, profiteurs, incapables du moindre esprit d’initiative, râleurs, jaloux, indisciplinés, désorganisés, grévistes (tiens tiens…), etc.
L’un des grands objectifs de la classe politique flamande est d’obtenir la régionalisation complète de la sécurité sociale, c’est-à-dire de briser le dernier lien fort de solidarité entre les deux parties du pays. Une fois que cette régionalisation sera obtenue, même progressivement, d’autres revendications suivront afin d’obtenir une autonomie de plus en plus nette, puis enfin l’indépendance politique.
La Flandre, région riche, veut son indépendance et considère qu’elle traîne la Wallonie, région plus pauvre, comme un boulet (au XIXème siècle, c’était exactement le contraire, la Flandre était rurale et pauvre tandis que la Wallonie était industrielle et riche). La Flandre ne s’en est jamais cachée et vit cette volonté d’indépendance comme une revanche historique et culturelle. Cette indépendance est pour elle une question presque existentielle.
En revanche, les francophones ne savent pas ce qu’ils désirent. A la fois agacés par leurs compatriotes du nord et parfois convaincus, hélas, de la réalité de la mauvaise image que ceux-ci, à tort, se font d’eux, ils ne cessent d’avaler des couleuvres à l’image d’une classe politique bruxelloise et wallonne timorée. Les francophones tentent de sauver ce qui peut encore l’être, n’osant clairement se poser la question de leur avenir politique. Il y a bien quelques autonomistes wallons et quelques mouvements rattachistes (à la France, l’outre-Quiévrain), mais ceux-ci demeurent pour l’instant très minoritaires, assez peu écoutés, et leur capacité de mobilisation a bien faibli depuis les années 60, un peu comme s’ils incarnaient quelque chose que le sud du pays se refusait à regarder en face.
L’incompréhension reste donc totale entre le nord et le sud de la Belgique et risque même de prendre de l’ampleur dans les prochaines années.