Schalcken est un « peintre fin », spécialiste des éclairages à la bougie. Six de ses sept pendants en contiennent une, souvent portée à hauteur du visage de manière assez artificielle : le sujet, parfois obscur, n’est que le prétexte à la mise en scène du savoir-faire de l’artiste [1].
Autoportraits
Autoportrait Son épouse Françoise van Diemen
Schalcken, 1679, Liechtenstein Museum
Dans ce pendant marital réalisé probablement à l’occasion de son mariage en 1679, Schalcken se présente en peintre-gentleman, portant des habits raffinés et comblé par une resplendissante épouse : les deux portent la main droite sur leur coeur, signe de promesse d’amour.
Autoportrait Son épouse Françoise van Diemen
Les détails du fond dénotent une union idéalisée [2] :
- derrière l’époux (36 ans), le tableau avec Vénus endormie signifie ostensiblement que la déesse du Sexe s’est effacée devant les joies du mariage, tout en rappelant aux amateurs les capacités du peintre à peindre noblement de belles femmes ;
- derrière l’épouse (19 ans) , la statue de Diane rend hommage à sa chasteté.
Le couple aura dix enfants, dont un seul leur survivra.
Autoportrait Son épouse Françoise van Diemen
Schalcken, 1706, Collection privée
Dans ce second pendant marital réalisé l’année de sa mort, Schalcken a 63 ans. Il tient fièrement un médaillon à l’effigie de son patron, l’électeur palatin Johann Wilhelm, qui l’avait fait venir à Düsseldorf. [3]
Autoportrait au tournesol
Van Dyck, 1632, Collection particulière
La pose s’inspire ouvertement du célèbre autoportrait de van Dyck (gravé en 1644). Schalcken se montre ici à la fois
- courtisan – en égalant son patron allemand au Roi d’Angleterre, que symbolise le tournesol (voir Substituts du miroir)
- et courtois – en comparant son épouse, en robe orange et cape vert foncé, à la rayonnante fleur solaire.
Pendants mythologiques
Vénus donne à l’amour une flèche enflammée, ou L’effet de la lumière artificielle Vénus à sa toilette, ou L’effet de la lumière du Jour
Schalcken, 1690, Museumslandschaft Hessen, Kassel
Deux sujets mythologiques classiques sont ici enrôlés au service des effets d’éclairage :
- flèche enflammée sur ciel d’orage,
- rais de lumière tombant sur l’épaule et la chevelure blonde de la Déesse.
Jupiter et Sémélé Pan et Syrinx
Schalcken, 1691, Schloss Weissenstein, Pommersfelden
Même recherche d’éclairages rares et contrastés dans ces deux scènes de demoiselles en danger :
- la foudre de Zeus va carboniser Sémélé terrorisée (union fulminante dont naîtra Dionysos) ;
- sous un ciel fuligineux, la chaste nymphe Syrinx va se transformer en roseaux pour échapper à la convoitise de Pan.
Le rideau et le manteau rouges mettent en valeur les anatomies recto verso.
Assez subtilement, un troisième personnage ajoute du piment et de la complexité aux deux scènes :
- la femme derrière le rideau n’est pas juste une voyeuse : le geste de son index nous fait reconnaître Héra (l’épouse jalouse de Jupiter) qui, déguisée en servante, avait conseillé à Sémélé de demander à Zeus de lui montrer sa foudre et ses éclairs ;
- à droite Cupidon semble aider à dégager les roseaux : mais son geste (n’embrasser que des tiges) préfigure surtout ce qui va arriver à Pan.
Scènes de genre
Allégorie de la Chasteté, ou L’avertissement inutile L’examen médical
Schalcken, 1680-85, Mauritshuis, La Haye
Ce pendant moralisateur se déchiffre en deux temps.
Une femme âgée (la canne) et sage (le livre) morigène (l’index) une jeune fille qui rêve à l’amour (l’Hermès derrière la tête) et se prépare à laisser envoler l’oiseau qu’elle garde précieusement dans sa boîte (sur cette métaphore de la virginité, voir L’oiseau envolé).
Un médecin voit dans l’urine de la même jeune fille affligée la preuve irréfutable qu’elle est enceinte, et non malade : le clystère posé sur la table symbolise à la fois le mal qui l’a frappée, et l’impossibilité d’un remède.
Son jeune frère rigole en faisant, près d’un montant de chaise évocateur, le geste obscène de la figue (voir Faire la figue).
A chacun sa fantaisie (Every one his fancy) Des goûts différents
Schalcken, 1670-75, Rijksmuseum, Amsterdam
Ce pendant plus énigmatique repend un peu le même thème.
Dans l’enfance, les préférences sont simples : se goinfrer de bouillie à la cuillère, ou gober un oeuf salement (voir la coulure sur sa serviette). Le grand frère au bel habit, admiré par sa soeur et son grand-père, se moque ouvertement de la naïveté gloutonne du petit : car il y a sans doute un sous-entendu sexuel dans l’oeuf brisé (comme plus tard chez Greuze, voir Les pendants de Greuze), synonyme de défloraison pour une fille, et de vigueur sexuelle pour un garçon.
Le second tableau illustre les préférences qui se présentent à un garçon plus âgé : fumer sa pipe en solitaire en rêvant à on sait bien quoi, ou courtiser une jolie fille au coin du feu.
Jeune garçon faisant souffler une vessie de porc à une jeune fille Jeune fille mangeant une pomme à la chandelle
Schalcken, 1675-80, Staatliches Museum, Schwerin
Ce pendant assez déconcertant oppose un couple d’enfants, en lumière naturelle, et une petit fille solitaire, à la bougie. Formellement, l’appariement des deux scènes repose uniquement sur le geste de la jeune fille de porter un objet à sa bouche.
Mais il y a probablement un arrière-plan symbolique, les jeux d’enfants dénonçant ce qui guette les adultes : la futilité des plaisirs (la vessie) et l’appétit coupable (à voir le geste suspendu de cette petite Eve, surprise en flagrant délit de gourmandise).
Jeune fille lisant une lettre à la chandelle Jeune fille à la chandelle
Schalcken, 1685-90, Staatliche Kunstsammlungen, Dresde
Le fait qu’il s’agisse du même modèle dans les deux tableaux laisse imaginer là encore une histoire en deux temps [4] :
- la jeune fille rêve en lisant une lettre d’amour ;
- puis elle s’est établie (collier de perles, coiffe, tableau au mur) mais rêve toujours à l’amour, en jetant un coup d’oeil sur le spectateur.
Jeune fille mettant une bougie dans une lanterne et jeune garçon préparant une chaufferette Homme avec une pipe et homme qui se verse un verre
Schalcken (attribution), 1690-1706, Rijksmuseum
Dans ce pendant tardif désormais attribué à Arnold Boonen, un élève de Schalcken [5], l’appariement est de plus en plus gratuit :
- à l’office, une jeune fille prépare une lanterne et un jeune garçon souffle sur le brasero qu’il va glisser dans la chaufferette ;
- au tripot (cartes sur la table), un buveur se verse un verre et un fumeur allume sa pipe a un petit brasero portatif qu’il tient à bout de bras.
La principale justification à ce pendant semble purement formelle, les gestes se répondant deux à deux :
- remplir la lanterne et remplir le verre ;
- amorcer la chaufferette et à allumer la pipe.
Mais puisque le second tableau représente ouvertement les Plaisirs (le jeu, la boisson, le tabac), il est fort probable que le premier fasse allusion, avec l’hypocrisie propre aux scènes d’enfants, à des activités moins innocentes : « ranimer la braise » et « combler la lanterne ».