Je ne sais plus si je vous en ai déjà parlé mais la lecture occupe quelque place dans ma vie. A l'intérieur de cette place trônent en majesté une cinquantaine de livres. Et parmi ceux-ci, On Bullshit de Harry G. Frankfurt.
C’était peu de temps après m’être mis à la presse de langue anglaise.
Suivant des recommandations du Courrier international sur les incontournables de la presse en ligne anglaise et américaine, j’allais voir ce qui pouvait se lire avec un appétit que ma compréhension laborieuse de l’anglais ne parvint pas à freiner, passant de The Atlantic à Reason, du New-Yorker au New-York Times.
C’est dans ce dernier que je suis tombé, cela devait être début 2002 je dirais, sur un article narrant un dîner avec le philosophe – alors pour moi un parfait inconnu – Harry G. Frankfurt.
Il faut croire que je fus assez séduit parce que peu de temps après je me mettais en chasse de l’un de ses livres, son plus fameux avais-je appris : On Bullshit.
Absolument pas familier alors de l’achat en ligne, c’est en arpentant Paris et ses librairies que je menai mes recherches.
Il m’a fallu pour la première fois pénétrer dans des boutiques spécialisées en langue anglaise. La crainte que ma compréhension laborieuse de l’anglais soit source de situation embarrassante, j’ai dû me faire violence pour y pénétrer, faire ma demande dans un sabir mal articulé et prononcé au plus vite comme pour me débarrasser des mots et presque espérer un réponse négative pour enlever au plus vite de la vue du vendeur ma face écarlate.
En vérité, la plupart des gens que j’y ai rencontrés maîtrisaient parfaitement le français, mais malgré cela, me faisant répéter plusieurs fois ma demande, l’aspect gênant de ma démarche n’a pas été non plus tout à fait en-dessous de mes appréhensions.
J’ai réussi au bout de quatre ou cinq librairies, guère plus, à mettre la main sur le précieux ouvrage. C’était dans la librairie canadienne Abbey Bookshop, sise 29, rue de la Parcheminerie, 75005 Paris, et dont le marque page promotionnel se trouve encore entre les pages du livre que j’y ai acheté.
Et c’est ainsi que j’entrai en possession du premier livre que j’allais lire intégralement en anglais (68 pages en format poche, j’ai su être modeste pour mes débuts) en même temps que je faisais ma première incursion dans la philosophie non continentale.
Je me souviens avoir été très agréablement surpris par cette manière fluide de raisonner qui, partant de déclarations somme toute banales sur l’état du monde ou des états de pensées et, passant en revue patiemment les conséquences potentielles comme les interprétations concurrentes, parvenait à dégager une pensée claire.
(Et ce, enfin si mes souvenirs ne me trompent pas, sans qu’aucun jargon ne s’invite dans la phrase.)
Quant à l’idée principale énoncée dans le livre (et donc particulièrement bien amenée, enfin si mes souvenirs ne me trompent pas) : à côté de la figure du mensonge, qui falsifie délibérément la vérité, émerge la figure du bullshit pour lequel le rapport à la vérité est tout simplement indifférent, le message n’étant là que pour produire certains effets, peu importe si ce qu’il énonce est vrai ou faux.
L’analyse était déjà pertinente au moment de ma lecture ; les quatre dernières années lui auront fourni des exemples édifiants par paquetées entières.
Je suppose qu’il est inutile que je précise ma pensée. Et puis de toute manière le temps presse et votre patience s’use.