Adieu ma jolie
Il parait que les araignées choisissent uniquement pour vivre les endroits sains. Quand j’en trouve une dans mon intérieur, malgré la désagréable sensation éprouvée, je pense toujours à cette information lue je ne sais plus où. Comme la plupart des gens, je ressens un sentiment de peur à la vue d’une araignée. L’an passé, l’une d’elles m’a mordu l’arrière de la cuisse. En réaction à la morsure, j’ai eu une douloureuse induration mauve, grosse comme la main. Inquiète par les proportions prises par l’incident, j’avais hésité à me rendre à l’hôpital, ce que je n’ai finalement pas fait, la méfiance inspirée par les blouses blanches étant plus grande que les désagréments de la morsure. Les araignées suscitent néanmoins mon admiration et mon respect. J’évite de les tuer, et si possible, sauf si elles squattent mon appartement, de les déplacer. Depuis plus d’un mois, une araignée vivait sur mon balcon. Espérant qu’elle me débarrasserait de quelques mouches et d’indésirables moustiques, je prenais grand soin de ne pas la chasser, ni de malencontreusement l’écraser. Il y a deux semaines, après la soudaine disparition de l’aranéide et de son habitat de soie, j’avais même reproché à mon père, d’une voix désagréablement perchée, de l’avoir tuée afin de boire un rafraîchissement paisiblement installé sur mon balcon à regarder les montagnes du paysage. Il m’avait dévisagé éberlué. “Mais non je n’ai tué aucune araignée, je ne l’ai pas même vue”. Le pauvre a dû penser, en se demandant comment il s’y était pris pour engendrer une excentrique dans mon genre -un reproche que l’on me fait souvent dans ma famille- que cette fois-ci j’avais vraiment pété un plomb, parce qu’entre les araignées et lui, c’est comme avec mes rats, pas vraiment le grand amour. Effectivement, il ne l’avait pas trucidée. Il l’avait uniquement déplacée en bougeant les chaises. Quelques jours après, elle est réapparue sur un tissage soyeux, plus beau que le précédent. Après plusieurs semaines d’une heureuse cohabitation, je l’ai chassée mercredi, avant la venue d’Alexandra, que la seule pensée d’une araignée rend totalement malade. Pour ne pas réveiller la phobie de ma filleule, à l’aide d’un journal, j’ai éjecté ma locataire hors de mon balcon, espérant qu’elle parviendrait a trouver sa place quelques étages en dessous, sans être tuée par personne, ce qui m’étonnerait.
Ma colocataire, quelques minutes avant que je la chasse d’un coup de journal. J’en suis encore triste.
Dommage que la photo soit floue, parce que je trouve cette araignée magnifique.