« Si l’on sait depuis longtemps — et de façon exemplaire depuis les ouvrages de Jean Starobinski — que la relation critique est une relation vive, à chaque lecture avivée et que son intervention n’est pas une écriture sur mais une écriture avec des textes, une œuvre, une somme de lectures à déchiffrer et interpréter, ce qu’on découvre avec Michel Butor c’est la pratique, véritablement, d’une critique dialogique.
Mais qu’est-ce à dire que ce ‘dire avec’ ? N’entraîne-t-il pas à l’opposé d’un discours critique, lequel prône d’ordinaire l’effacement pour laisser que l’œuvre donne, seule, toute sa voix ? Ne prend-il pas tous les risques d’immixtion et de mixité en faisant fond sur une bivocalité qui, pour demeurer telle, ne doit ni s’abolir à l’unisson ni se déchirer dans le discord des confronts ? Car mettre en œuvre un système « bivocal », au sens où Bakhtine l’entend, c’est quelque peu changer les enjeux, la question cruciale devenant alors moins celle d’une relation critique que d’une distance critique. 'L’œuvre, écrit Starobinski dans L’Œil vivant, je dois la faire parler pour lui répondre’. Tout réside, en effet, dans ce faire parler. Et peut-être bien que la plus grande nouveauté des Improvisations butoriennes vient de ce qu’elles n’oublient jamais la part d’invention de la critique, à savoir cette préoccupation : à quelle distance parler ? à quelle distance en parler ? Périmant ainsi d’un coup le séculaire débat du 'qui parle' en critique de l’œuvre ou de son analyste. »
Mireille Calle-Gruber, « Passages de lignes ou les improvisations critiques de Michel Butor », in Cahier Butor n° 1, Compagnonnages de Michel Butor, par Adèle Godefroy, Jean-Paul Morin et Mireille Calle-Gruber, Hermann, 2019, 240 p., 27€
Occasion pour Poezibao de signaler la parution du premier numéro des Cahiers Butor. C’est une très belle réussite, tant formelle que par son contenu, avec de nombreuses interventions d’artistes et d’écrivains qui ont travaillé avec Michel Butor.
Sur le site de l’éditeur :
Ne me laissez pas seul avec mes paroles
J’ai le plus grand besoin de vos images
Permettez-moi de voir en votre compagnie
Telle est la prière en forme de ballade que Michel Butor adresse à ses amis artistes et qu’il intitule Requête aux peintres sculpteurs et Cie. Ce poème dit pleinement la relation que l’écrivain a entretenue, depuis 1962 jusqu’à sa mort en août 2016, avec un monde de créativité où la rencontre des techniques et des imaginaires façonne entre les arts et la littérature des croisées inédites.
Les Œuvres complètes de Michel Butor, publiées en 12 volumes à La Différence, réunissent tous ses écrits, lesquels sont recomposés en volumes, sans les images, les formes et les couleurs qui les ont suscités, et qui constituaient d’abord des livres d’artistes et des œuvres en collaboration, en très peu d’exemplaires. Les Cahiers Butor donnent la chance de connaître cette création première et d’en restituer le jaillissement qui est dialogue et des imaginaires et des mots. Ils offrent le complément indispensable aux Œuvres complètes, lesquelles demeurent incomplètes sans la présence épiphanique des compagnons de route.
« Compagnonnages », le premier numéro des Cahiers, désigne le cheminement de Butor et de ses partenaires artistes qui, liés par l’amitié, l’expérimentation et l’apprentissage mutuel, tels les Compagnons artisans, découvrent ensemble les secrets du métier.