Lors d’un colloque à Avignon, après l’intervention où je présentais la pratique de la méditation, j’ai été confronté à la question suivante : “Ne médite-t-on pas tout le temps ?
Personnellement, je pratique en me promenant ainsi que dans nombre de mes activités quotidiennes.”
Il n’est pas une conférence où cette question ne m’a été posée sous une forme ou sous une autre. Or celle-ci est l’une des plus emblématiques et des plus regrettables de notre temps et mérite que l’on s’y attarde. Elle méconnaît le sens de tout engagement spirituel, qui repose sur le principe qu’il nous faut abandonner quelque chose pour entrer dans une pratique réelle. Méditer, en effet, ne consiste nullement apprécier un peu mieux le moment présent et jouir de la vie, mais implique d’arrêter l’apparent confort de la routine. Il y a quelque chose dans notre attitude habituelle qui entrave le rapport à la pleine réalité. Mais comment méditer, sans cette prise de conscience ?
En ce sens, méditer nous confronte avec honnêteté à notre propre confusion, à ce qui en nous est crispé, effrayé, tendu, malheureux et faux. En nous asseyant sur un coussin, nous nous exerçons à| considérer notre esprit avec précision et douceur, exactement tel qu’il est. Ainsi, rien n’est plus éloigné de la méditation qu’une promenade entre amis au bord d'une plage ou que la contemplation du coucher de soleil.
Alors que je lui parlais de la difficulté de clarifier ce qui fait problème dans cette singulière conviction, une amie m’a expliqué qu’elle avait rencontré plusieurs personnes qui étaient venues assister aux méditations guidées que je donne au sein de l’École occidentale de méditation. Elles étaient, lui avaient-elles dit, profondément déconcertées par la rigueur de ces soirées, je n’y avais pas songé tant cette exigence me semble naturelle. Mais il est vrai que pour beaucoup d’entre nous, la méditation est une forme de divertissement amusant qui doit détendre, et la spiritualité une manière de rêver en se retirant dans sa tour d’ivoire.
Le choix de présenter la pratique avec sérieux semble étonnant, voire contradictoire. Pourtant, si la spiritualité à un sens aujourd’hui, c’est qu’elle consiste à nous apprendre la valeur réelle de la discipline qui, en son aspect le plus authentique, nous fait défaut. En effet, désormais, celle-ci est pour nous le plus souvent construite sur une violence qui nous contraint et nous soumet, et non sur la confiance dans la bonté primordiale que notre être recèle et qu’il faut maintenir et préserver.
En vérité, ignorer le sens de la méditation, nous le faisons tous à différents degrés. J’ai beau m’y consacrer, je découvre régulièrement que, sans m’en rendre compte, je tends moi aussi à minimiser le saut qu’elle implique. Car au fond, méditer, c’est sortir de la logique qui nous conduit à nous protéger de l’inconfort pour découvrir qu’il existe un espace vivant au-delà du “moi-moi-même-et-encore-moi”. Et cet espace, nous ne pouvons pas le comprendre, le définir ou le saisir. Il n’émerge que comme un séisme, une brèche qui vient nous réveiller comme par surprise.
Ceux qui s’engagent dans la pratique sur le long cours le font parce qu’ils tombent amoureux fous de cet autre visage du monde, un visage sacré et pur. Ils ont alors courage de se confronter à ce qui en eux le refuse. Ce n’est qu’après ce passage par le feu qu’il devient possible d’avoir un autre regard sur le monde. Et c’est seulement alors - parce qu’on a longuement pratiqué - que la manière de voir un arbre ou de saluer un ami, devient comme une forme de méditation.
Fabrice MIDAL
Philosophe et éditeur, Fabrice Midal est le fondateur de l'École occidentale de méditation, où il oeuvre à transmettre la pratique de la méditation, en dialogue avec la poésie et la philosophie.