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Benjamin Balint, Le dernier procès de Kafka. Le sionisme et l'héritage de la diaspora, Paris, 2020, La Découverte, traduit de l'anglais par Philippe Pignarre, 320 p. , Bibliogr., Index
Voici un fort beau livre consacré à l'héritage littéraire de Kafka. Mais pas seulement, c'est également une biographie. D'abord, il est habilement construit, faisant alterner avec les années strictement Kafka, les pensées de Eva Hoffe, héritière de sa mère qui avait hérité des manuscrits de Franz Kafka que lui avaient transmis Max Brod qui les a sauvés de la disparition qu'avait souhaitée, exigée, en mourant, Kafka. Un siècle après donc. Max Brod, que l'auteur décrit joyeux, extraverti, "débordant d'énergie et de joie de vivre, irradiait de vitalité", était l'ami de Kafka. Franz Kafka était tout à l'opposé. Max Brod était pianiste et compositeur, grand amateur de femmes, écrivain prolifique. Kafka lui n'aimait guère la musique et eut, toute sa vie durant, une relation compliquée aux femmes. Il publia peu de son vivant. L'amitié de Brod et de Kafka fut "une osmose littéraire entre deux personnes que tout opposait".
Une fois Kafka mort, à quarante ans, Max Brod, ne lui obéit pas : au contraire, il s'empare de ses oeuvres et en publie des morceaux. Mais qui en devient le propriétaire, une fois Max Brod mort ? C'est la question que posent cet ouvrage et le tribunal de Jérusalem. Et le lecteur est promené, allant de la vie affectueuse de Kafka et de Brod aux errements respectueux de leurs héritières.
Car l'auteur sait brillamment alterner les événements de notre siècle et ceux du siècle de Kafka qui est mort en juin 1924 avant que le nazisme ne s'impose en Allemagne (ses soeurs, elles, mourront, assassinées par les nazis). Le livre nous fait suivre Franz Kafka et ses amitiés, ses amours. D'abord Max Brod, écrivain tchèque (mort en 1968) qui émigrera en Israël. Ensuite Eva Hoffe (elle joue de son nom en allemand, ich hoffe = j'espère) - qui habite Rue Spinoza à Tel-Aviv ! - n'est jamais allée en Allemagne ("Pardonner était impossible") ; elle défendra, en vain, son point de vue quant à l'oeuvre de Franz Kafka devant la Cour Suprême israélienne.
Comment Israël peut-il hériter de Kafka ? C'est une question sous-jacente : mais si ce n'était pas Israël, qui alors en hériterait ? L'Allemagne ? Pourquoi ? Pour la langue ? On voit Kafka apprendre l'hébreu qu'il parle bien et d'ailleurs qu'il continua d'apprendre toute sa vie d'adulte ("qu'est-ce que l'hébreu sinon des nouvelles de loin"). De si loin qu'il en parlait sans cesse, sans prendre la décision de faire le voyage vers Israël... La République tchèque et Prague qui a aujourd'hui gardé un quartier avec ses synagogues, quartier pour touristes surtout, aujourd'hui et où l'on ne parle plus l'allemand ? Alors Israël qui n'est pas très germanophone, certes, mais qui ne trahira pas Kafka.
La traduction est bonne et rend parfaitement bien le texte d'origine. les notes sont bienvenues tout comme les mots dans leur langue d'origine dans le texte avec leur traduction. Le livre, à la fois documentaire (juridique) et aux notations biographiques tellement bien vues, donne envie de lire et de relire Kafka, d'apprendre l'hébreu, l'allemand... Kafka lui même aurait pu inventer cette incroyable histoire de ses manuscrits.