Magazine Culture
3-Une
envie.
Une
folle envie, donc. Et si je faisais mon propre récit? Ah ben tiens
mais oui pourquoi pas? L'envie d'écrire, l'envie de partager,
l'envie de s'ouvrir aux autres, l'envie de se faire des ampoules aux
doigts en tapant comme un malade sur son clavier pour ensuite aller
se faire plaindre chez le pharmacien, plein d'envies différentes,
qu'on peut rassembler sous la forme d'un récit, qui ferait la
synthèse de tout ça.
Allez c'est dit c'est dit, et cochon qui s'en dédit.
Se
pose alors tout de suite la question primordiale: mais qu'est-ce que
je vais bien pouvoir raconter?
-Chérie,
tu ne vas jamais me croire, je vais faire un livre.
-De
quoi?
-Je
vais faire un livre.
-Où
ça?
-Dans
mon bureau, je vais taper à l'ordinateur, je sais taper comme il
faut à l'ordinateur, je vais inventer une histoire, ça va faire un
livre.
-Ah
oui mais pourquoi faire? Tu en as des tonnes de livres, et je suis
sûre que tu n'en as pas lu la moitié, que dis-je, même pas le
tiers !
-Mais
je te parle d'écrire un livre, tu te rends pas compte, ça laissera
une trace de moi, pour les enfants, pour la postérité, pour que tu
te souviennes de moi lorsque je serai mort par exemple.
-Ah
ben ça je risque pas de t'oublier. Tiens en parlant de traces que tu
laisses, tu me mettrais tes chaussettes sales dans la machine, on
ferait déjà un grand pas aujourd'hui, avant que de juste penser à
la postérité tu vois.
-...
Des
blagues de Toto.
Dans un premier temps, grâce à l'extraordinairement formidable plasticité de mon cerveau génial, j'avais envisagé de faire un recueil de blagues de Toto.
Ouais mais non.
Quelque chose me dit que l'extraordinairement formidable plasticité de mon cerveau génial se fout un peu de ma gueule, des fois.
Une histoire de prince charmant.
Qui viendrait embrasser une
princesse endormie, tiens voilà ça c'est original.
Ah oui mais
non, dans mon esprit ça fait plutôt dessin animé, je sais pas
pourquoi, une sorte d'intuition comme ça.
Bon ben je termine ce
livre et j'en fais un dessin animé.
Oui mais je termine le livre
d'abord.
C'est
que la tâche n'est pas aisée à vrai dire, on a déjà écrit
beaucoup de livres, sur à peu près tout. Il n'est pas rare en sus,
lorsqu'on ouvre un livre, de s'apercevoir que le livre qu'on tient
dans ses mains a déjà été écrit par quelqu'un d'autre avant, non
ce n'est pas du plagiat, c'est par manque de temps, on imagine.
Tiens
à cet instant, je pense à un de nos ex-journalistes vedette qui a des
cheveux à nouveau, nous l'appellerons Patrick Sel de Bretagne pour préserver la quiétude de sa vacuité intellectuelle, et qui sort beaucoup de livres.
Mais comment
fait-il?
Où trouve-t-il son inspiration?
Le complément capillaire
donnerait-il des idées?
Ce serait bon de le savoir, auquel cas je
file dès demain chez le taxidermiste du coin de la rue, il va bien
me découdre un renard qui est dans la vitrine pour m'en faire un
postiche.
Quoique le renard ça fait bien roux quand même.
Un lièvre
peut-être.
Oui mais pas un lièvre des neiges, je suis pas si vieux
que ça, j'ai le temps avant d'avoir les cheveux tout blancs.
Bon on
proscrit d'office tout ce qui est bêtes à plumes, parce que ça
fait pas le complément capillaire crédible, les plumes.
J'ai les
cheveux grisonnants, il faut un bestiau idoine.
Y a bien le rat, mais
ça fait une coupe courte.
Y a bien le yak, mais ça fait
dread-locks.
Le putois ça sent, le castor ça fait pas
sérieux, surtout si on laisse la queue derrière, ou alors un truc
tigré comme le raton-laveur, pour faire un style, coupe classique,
et queue tigrée. Comme Davy Crockett le
trappeur trapu, qui est aussi la voix de la conscience de
Pinocchio.
Non je confonds.
Avec un autre truc.
Ah
non, c'est cocasse, je confonds avec Jiminy Cricket,
qui est un cafard et qui se lamente de la conduite du pantin de bois
bien connu dans le milieu du pantin de bois. Bon de toute manière,
tordons le coup aux idées reçues, le complément capillaire ne
donne pas un talent supplémentaire. On le saurait.
Une biographie.
Ah oui tiens pourquoi pas ça
aussi oui.
Mais je ne connais personne qui vaille qu'on lui dresse
une biographie aux petits oignons, je connais que des cons.
Je ne
vais pas tresser de lauriers à un con, ou je ne vais pas dézinguer
un con, il est déjà assez con comme ça.
Et pour faire une
biographie qui tienne la route, il faut compulser un certain nombre
d'ouvrages pour se renseigner, il faut faire un vrai travail d'étude,
et moi j'ai pas envie d'écrire un livre pour lire d'autres livres,
c'est complètement con.
Si j'ai envie de lire un livre, je le
prends, je le lis, puis je le repose. Sur une étagère. Par exemple.
Si je veux en lire plusieurs à la suite, c'est pareil, c'est le même
cheminement.
Mais j'ai pas besoin d'en faire un livre quand j'ai tout
fini pour tout raconter, pour en faire une synthèse ou pour exposer
un angle particulier de ce que j'ai lu, ou de ce que j'ai compris,
c'est des malades qui agissent comme ça, des grands malades.
Le
monde est rempli de grands malades, j'ai déjà remarqué ça.
Et puis raconter la vie d'un
autre type que soi, ça montre un certain emmerdement profond dans sa
vie, c'est un peu un truc de concierge en fin de compte, ou de mémé
qui s'installe sur une chaise derrière ses rideaux pour épier la
vie des autres dans le quartier, tout en caressant
son chat sur ses genoux.
Les biographes sont sûrement des gens à
chats sur les genoux.
Un ethnologue pourrait probablement décortiquer
ça pour nous. Je dis ça comme un conseil, si un jour vous invitez
un ethnologue chez vous pour décortiquer les caractères culturels
et sociaux des biographes, invitez-le un soir de Noël, il pourra en
plus vous décortiquer des crevettes en même temps, un ethnologue
c'est content quand ça décortique, autant s'en servir à bon
escient.
Il aura les doigts qui puent après, mais le bon ethnologue
s'en fout, il est passionné par son champ d'études, c'est bon à
savoir pour en profiter.
Pareil, vous le mettez sur une épave de 4L,
il vous la met en pièces en un rien de temps et après vous pouvez
tout vendre en pièces détachées sur eBay, c'est pratique
n'empêche.
On dit ouais les ethnologues tout ça, mais s'ils
n'étaient pas là on serait bien content de les trouver.
Après il faut être
intéressé par la vie d'un personnage pour en faire une biographie,
et pour cela il faut en connaître, des personnages.
Des célèbres.
Mais ceux qui le sont ont déjà tous été pris, et quand vous
arrivez il ne reste déjà plus grand choix, les premiers arrivés
ont été les premiers servis, et bien souvent il ne vous reste plus
que d'obscurs personnages de seconde zone, style vedette décérébrée
de télé-réalité par exemple, vous voyez l'angoisse.
À suivre...