Dans les sondages, une majorité de Français sont enfin soulagés par les mesures gouvernementales de confinement. La menace d'un carnage chez les plus âgés n'y est pas pour rien.
Mais "en même temps", Macron, Philippe et Buzyn savaient.
Ils savaient.
La mascarade du "en même temps"
Le revirement du gouvernement français face à la crise sanitaire est total et laisse pantois. Revenons sur ces dernières semaines. Début mars, le couple présidentiel se montre dans un théâtre d'un ami pour encourager la vie des spectacles. Il y a déjà 4 morts en France, plus de 3000 dans le monde. Le 10 mars, la porte parole du gouvernement bafouille que les mesures de restriction des transports prises par l'Italie n'ont pas permis d'enrayer la progression du virus, il serait donc inutile de suivre ce modèle en France.
Brigitte et Emmanuel Macron se font filmer en balade pédestre sur les Champs Elysées.
Deux jours après, c'est Trump qui ramène Macron à la réalité du virus... c'est dire l'imprévoyance du jeune monarque. Le clown de la Maison Blanche, effrayé par la progression fulgurante du virus dans la région de Seattle, interdit tous les vols depuis l'Europe.... Macron parle le soir à la télévision: il demande aux Français de limiter leurs déplacements "et en même temps" les encourage à poursuivre leur travail et à participer au vote 3 jours plus tard.
Dimanche, mascarade électorale. Macron et son premier ministre Philippe avaient promis qu'il était sage et citoyen d'aller voter au premier tour des élections municipales. A l'heure du scrutin, la France compte officiellement 6400 infectés recensés, et 161 morts. L'abstention atteint encore un record, mais n'était-ce pas l'un des objectifs ? Ce scrutin devait être désastreux pour la Macronie, il le fut. Mais l'attention était ailleurs.
Lundi, changement de ton. Macron place la France en quarantaine, mais "en même temps", il exhorte les Français d'aller travailler. Ne courez plus, ne sortez plus, ne vous rendez pas aux enterrements de vos proches, mais "en même temps", allez travailler. Le virus est ultra-dangereux, ultra-contagieux... et "en même temps", il serait indispensable de rester au bureau, sur les chantiers, dans les banques. Il faut imprimer un permis de sortie depuis le site du ministère de l'intérieur, le signer et justifier de l'un des quatre motifs de sortie (alimentation, santé, travail, sortie à proximité du domicile) chaque jour que l'on veut sortir de chez soi.
A 6 reprises, Macron parle de guerre; mais "il envoie au front sans munition".
Lundi, Macron impose le confinement... mais à compter du lendemain après-midi seulement. Et les marchés alimentaires en extérieur ne sont pas fermés. En Italie, il y a parfois des embouteillages de corbillards à cause du nombre de morts. En France, ce sont des embouteillages des bourgeois qui se réfugient dans leurs résidence secondaire, infectant les zones résidentielles ainsi investie. L'île de Ré, Belle-Ile et quelques autres destinations sont envahies.
La douceur de la météo fait penser à des vacances collectives imprévues. Les docteurs s'alarment. Il y a quelque chose qui cloche.
"Il n’y a pas d’autre solution : un confinement total, immédiat et général. Point." Yannick Gottwalles, chef des urgences de Colmar, interviewé par Les Jours
Macron propose l'interdiction temporaire des licenciements. Mais quelques heures plus tard sa ministre du Travail rétropédale: "j'ai utilisé cette formule pour faire choc". Elle aggrave le propos: "Quand un syndicat patronal dit aux entreprises “arrêtez d’aller bosser, arrêtez de faire vos chantiers”, ça c’est du défaitisme."
"En même temps", Agnès Buzyn, arrivée troisième à Paris au premier tour, abandonne. Puis elle balance dans les colonnes du Monde qu'elle avait alerté Macron et Philippe dès janvier sur la gravité du virus et le risque sanitaire des élections municipales.
"Il va y avoir des milliers de morts" Agnès Buzyn, 17 mars 2020.Ils savaient donc, et depuis janvier. Macron, Philippe, Buzyn, Castaner et les autres. Ils savaient, ils ont attendu le plus tard possible pour agir.
Cette incompétence, ça cloche.
En fin de semaine, le pays compte officiellement 400 000 chômeurs "partiels", sans compter 300 ou 400 000 auto-entrepreneurs privés d'activité (spectacles, nettoyage, sport, réparations, automobiles, soins du corps, etc) et l'emploi intérimaire qui s'effondre, (soit 780 000 personnes supplémentaires). Au total, la première semaine française de confinement a privé d'emploi au moins un million de personnes au bas mot.
Le gouvernement allait-il demander l'union nationale, puisque nous sommes "en guerre" ? Une union nationale avec un programme d'union nationale ?
Rien de tout cela. Il n'agit pas en ce sens, il préfère fermer le pays.
La parenthèse des riches
Voici la parenthèse enchantée. Soudain, l'argent coule à flots. Cet argent qui manquait pour revaloriser le salaire des soignants, investir dans les hôpitaux, éviter les fermetures de lits d'hospitalisation est trouvé avec une facilité qui ne déconcerte que les neu-neux du libéralisme béat. Les chercheurs pétitionnaient il y a quelques mois pour réclamer plus de moyens, voici Macron qui trouve soudainement 5 milliards d'euros de plus pour la recherche publique: "La crise du Covid-19 nous rappelle le caractère vital de la recherche scientifique et la nécessité d'investir massivement sur le long terme."
L'argent coule à flots: une garantie d’État de 300 milliards d'euros pour les banques; 10 milliards pour les fonds propres des premières banques du pays, création d'un fonds d'urgence de 50 millions d'euros contre le virus; et encore 50 millions d'euros "pour mettre à l’abri les plus démunis".... Plus la Bourse dévisse, plus le gouvernement s'affole et trouve les mesures de soutien.
Il ne s'agit pas de nationaliser les entreprises essentielles, ni d'augmenter les prestations sociales des foyers les plus précaires et encore davantage précarisés par la mise au ralenti de l'économie. Macron lâche les milliards qu'il refusait aux gens qui protestaient hier contre la vie chère, le gel des salaires et des prestations sociales, ou la réduction des retraites et des services publics.
Comment expliquer qu'en quelques heures, Macron trouve autant à investir pour soutenir les entreprise et les banques ? Le Macronistan lutte pour la survie d'un système. Sa trajectoire économique n'a pas changé. Macron considère la crise actuelle comme une "parenthèse". Il ne tire aucune leçon de cette accumulation de bêtises humaines - affaiblissement de nos protections sanitaires et sociales au nom du libre-échangisme économique, dégradation accélérée de la planète. Son court-termisme politique n'a pas changé. Macron pense à cette crise comme un nouveau tremplin pour ... sa réélection en 2022. En ce sens, son attitude, à quelques semaines près, est identique à celle de Donald Trump, lequel est passé en quelques jours du même optimisme indifférent à une action précipitée brouillonne.
Le sommet de l'indécence n'est sans doute pas encore atteint mais on s'en approche: partout, les témoignages et protestations de celles et ceux qui n'ont pas le choix de continuer d'être exposé au risque de contamination, et d'exposer en retour leurs proches, se sont multipliés dans la semaine. Les plateformes de livraison - Amazon en tête - sont pointées du doigt: "Notre incompréhension," explique une déléguée CGT, "c’est que les salariés permanents de chez Amazon exercent eux leur droit de retrait, ou peuvent prendre le congé de 14 jours pour garde d’enfants, posent des congés… Mais concernant les intérimaires, l’entreprise ne veut rien faire." Les ouvriers des chantiers, et leurs patrons, réclament un droit de retrait. Mais la ministre du travail ne veut pas, et enjoint les administrations de Pôle Emploi les demandes de chômage partiel ou techniques.
Le gouvernement invente le concept de "salariés essentiels". On s'en souviendra.
Bruno Le Maire, ministre de l'économie, demande qu'une prime de 1000 euros soit versées à celles et ceux qui "ont eu le courage de se rendre sur leur lieu de travail."
Les autres seraient-ils des lâches ? Oui, à en croire le ministre.
La France, le pays où la vie vaut peu chère.
La loi octroie ainsi au gouvernement un mois pour légiférer par ordonnances et, notamment, de "modifier les conditions d’acquisition de congés payés", de "permettre à tout employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, des jours de réduction du temps de travail" ; ou de permettre aux entreprises de "secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical."
C'est la guerre, n'est-ce pas ?
Non, ce n'est pas une guerre: l'ennemi ne sera pas vaincu, il faudra vivre avec. Ce virus est contagieux pour tous mais mortel pour les plus âgés et les plus fragiles. Il aurait fallu se préparer, à minima ne pas baisser la garde comme Macron et consorts. "Ce n’est pas une guerre, nous ne pourrons jamais vaincre ou éradiquer cette créature. Nous prémunir contre ses dégâts si, puis nous aurons à apprendre à vivre avec elle" explique un médecin dans une tribune publiée par Mediapart.
La France à poil
La France ne teste plus, faut de moyens. Les statistiques ne reflètent que le haut de l'iceberg: faute de moyens, on ne réalise que 2500 tests chaque jour, contre 12 500 en Allemagne. La France ne teste pas et préfère ruiner son économie en confinant la quasi-totalité de sa population. "On me dit qu'en Allemagne des usines tournent même la nuit pour produire 4 millions de tests. Quel est le point de blocage [en France] ?" s'interroge la députée Delphine Batho.
La France ne protège même plus son personnel soignant, puisqu'elle a délocalisé en Chine la fabrication de masques.
En Chine.
Macron n'est pour rien dans cette absence. Les 200 millions de masques disponibles il y a 10 ans au moment du SRAS ont été détruits. Le ministre de la Santé s'appelait Xavier Bertrand. La Cour des Comptes disait que cela coûtait trop cher. Olivier Véran, nouveau ministre de la Santé, le reconnait: "En 2011 il a été déterminé que la France n’avait pas à faire de stock d’État des fameux masques FFP2. Il n’y a donc pas de stock d’État."
Voilà ce qui cloche.
Ce virus promet un carnage car il requiert des moyens de soins que la France n'a plus.
- Les Ehpad redoutent la mort de 100 000 résidents et réclament en urgence des masques au ministre de la Santé, lequel explique que le port des masques n'est pas obligatoire. En Italie, selon les chiffres de l'Institut supérieur de la santé, la moyenne d'âge des 3200 premiers patients décédés enregistré est de 78,5 ans.
- En fin de semaine, les hôpitaux attendent "la vague". Ils recensent 1 300 cas graves en réanimation et 450 décès. En Alsace, ils sont déjà débordés. Les hôpitaux publics de Paris font un appel aux dons, ... et au volontariat. Vous avez bien lu: les hôpitaux publics de Paris font appel au volontariat, et pas simplement sanitaire - informatique, analyse de données, communication, création de tutos, montage vidéo, gestion de stock, logistique.
- Chaque soir à 20h, un nombre croissant de civils applaudissent les soignants à leur fenêtre.
"C’est un signal. Un thermomètre de la santé morale populaire. Soyez plus nombreux chaque jour. C’est la pause fraternité. N’oubliez pas. Ça fait un an qu’ils sont en lutte pour empêcher l’hôpital public de s’effondrer" résume Jean-Luc Mélenchon.
Voilà où en est le pays...
Ça cloche.
Ami castor, as-tu compris ?
PS: Marine Le Pen, effrayée par la contamination d'une vingtaine de député(e)s a préféré se cacher depuis une semaine.