Ce qu’il faut apprendre des artistes.
Quels moyens avons-nous de rendre pour nous les choses belles, attrayantes et désirables lorsqu’elles ne le sont pas ? — et je crois que, par elles-mêmes, elles ne le sont jamais ! Ici, les médecins peuvent nous apprendre quelque chose quand, par exemple, ils atténuent l’amertume ou mettent du vin et du sucre dans leurs mélanges ; mais plus encore les artistes qui s’appliquent en somme continuellement à faire de pareilles inventions et de pareils tours de force. S’éloigner des choses jusqu’à ce que nous ne les voyions plus qu’en partie et qu’il nous faille y ajouter beaucoup par nous-mêmes pour être à même de les voir encore – ou bien contempler les choses d’un angle tel qu’on n’en voit plus qu’en coupe – ou bien encore les regarder à travers du verre de couleur ou sous la lumière du couchant – ou bien enfin leur donner une surface et une peau qui n’a pas une transparence complète : tout cela il nous faut l’apprendre des artistes et, pour le reste, être plus sages qu’eux. Car chez eux cette force cette force subtile qui leur est propre cesse généralement où cesse l’art et où commence la vie; nous cependant, nous voulons être les poètes de notre vie, et cela avant tout dans les plus petites choses quotidiennes !
Friedrich Nietzsche, Le Gai savoir, livre quatrième, traduction d’Henri Albert, revue par Marc Sautet, LGF, 1993
Was man den Künstlern ablernen soll. –
Welche Mittel haben wir, uns die Dinge schön, anziehend, begehrenswert zu machen, wenn sie es nicht sind? – und ich meine, sie sind es an sich niemals! Hier haben wir von den Ärzten Etwas zu lernen, wenn sie zum Beispiel das Bittere verdünnen oder Wein und Zucker in den Mischkrug thun; aber noch mehr von den Künstlern, welche eigentlich fortwährend darauf aus sind, solche Erfindungen und Kunststücke zu machen. Sich von den Dingen entfernen, bis man Vieles von ihnen nicht mehr sieht und Vieles hinzusehen muss, um sie noch zu sehen – oder die Dinge um die Ecke und wie in einem Ausschnitte sehen – oder sie so stellen, dass sie sich teilweise verstellen und nur perspektivische Durchblicke gestatten – oder sie durch gefärbtes Glas oder im Lichte der Abendröte anschauen – oder ihnen eine Oberfläche und Haut geben, welche keine volle Transparenz hat: das Alles sollen wir den Künstlern ablernen und im Übrigen weiser sein, als sie. Denn bei ihnen hört gewöhnlich diese ihre feine Kraft auf, wo die Kunst aufhört und das Leben beginnt; wir aber wollen die Dichter unseres Lebens sein, und im Kleinsten und Alltäglichsten zuerst.
Choix d’Anne Malaprade, révision du texte français par Auxeméry.