Sur Orléans la magnifique flotte le souvenir éternel de Jeanne d'Arc, qui libère courageusement la ville des Anglais en 1429. Pourtant, la Pucelle n'a passé, au total, que quelques jours dans la ville ! La riche histoire d'Orléans court sur plusieurs siècles, du Moyen-Âge à nos jours. Elle est étroitement liée à celle des souverains capétiens. Deux y ont été sacrés, un autre y est mort, beaucoup y ont laissé leur empreinte. Découvrez Orléans l'insoupçonnée, Orléans la royale !
987 : l'année des rois
En ce mois de mai de l'année 987, Hugues Capet, issu de la puissante lignée des Robertiens, est " élu " roi des Francs par ses pairs. Déçus par les héritiers de Charlemagne, personnages falots incapables de maintenir l'unité du royaume, les grandes familles françaises choisissent dans un élan spontané ce chef de guerre et grand prince qui règne sur de vastes territoires entre Loire et Seine. Comte d'Orléans, comte de Paris puis duc des Francs, Hugues devient le premier roi des Francs de la dynastie capétienne. Il est couronné et sacré par le puissant et ambitieux archevêque de Reims, Adalbéron. Cependant Hugues comprend immédiatement l'importance de consolider sans tarder son pouvoir et celui de ses descendants. S'il venait à mourir demain, la France replongerait aussitôt dans l'anarchie ! Il prend donc la décision d'associer son fils aîné Robert à l'exercice du pouvoir en le faisant couronner à son tour. Et pas n'importe où ! Ce sera Orléans.
Pourquoi Orléans ? Pourquoi pas Paris ou Reims ? Tout lecteur, assez naturellement, s'étonne ici. Que la " Francie ", cette future France encore un peu en gestation, soit née à Orléans, cela surprend.
Ce choix intelligent répond à des considérations à la fois politiques, sentimentales et familiales. Tout d'abord, Hugues est profondément attaché à cette ville dont il porte le titre et dans laquelle il fait de fréquents séjours pour aller chasser dans les forêts giboyeuses aux alentours. Quant au jeune Robert, né à Orléans, il considère la ville comme son véritable fief. D'autre part, les deux hommes se défient de Reims et surtout de son archevêque Adalbéron. S'il a accepté le changement de dynastie sans broncher, Adalbéron est très hostile à la demande du nouveau monarque : un deuxième roi couronné la même année, c'est impensable... ! Le tour de force d'Hugues Capet est de parvenir non seulement à convaincre l'archevêque de Reims de la nécessité de ce second couronnement, mais en plus de faire se déplacer ce " faiseur de rois " jusqu'à Orléans...
Robert, 15 ans (futur Robert II le Pieux) est donc couronné et sacré dans la Cathédrale Sainte-Croix de sa ville fétiche, par Adalbéron, le 25 décembre 987. Plus tard, le roi Louis VI le Gros choisira lui aussi Orléans comme ville de sacre. Certains vestiges de la crypte de l'ancienne cathédrale romane où la dynastie capétienne a connu l'une de ses nombreuses heures de gloire sont encore visibles. La victoire est totale pour Hugues Capet. Lui qui voulait assurer au royaume une stabilité dynastique aurait sans doute été ravie de savoir que ses descendants conserveraient le trône de France pendant huit siècles... Quant à sa chère ville d'Orléans, berceau de famille et terre de prédilection de ses héritiers, elle n'a pas fini de voir défiler les rois !
Le souterrain de Louis XI
Non loin des rives de la Loire, au sud-est de la ville, s'élève l'église Saint-Aignan, dédiée au saint patron d'Orléans qui arrêta à temps les hordes de barbares conduits par Attila. Ce monument est édifié par Robert le Pieux après l'incendie d'une première église : 30 ans de travaux sont nécessaires ! Détruite ensuite à de maintes reprises, Saint-Aignan renaît à chaque fois de ses cendres grâce à l'intérêt que lui portent les rois de France successifs : Charles V, Charles VI et Charles VII financent les chantiers de reconstruction.
Au XVe siècle, Louis XI s'intéresse de près à la ville. Sa fille Jeanne a épousé le duc Louis d'Orléans et le monarque fait de fréquents séjours dans la ville. Il parachève les travaux entrepris par ses prédécesseurs et décore richement l'église Saint-Aignan, espérant très probablement obtenir " par l'intercession du patron de cette église, la rémission de ses énormes péchés " d'homme politique dépourvu de scrupules. Grand soupçonneux redoutant les complots et la colère divine, craignant toujours pour sa vie, Louis XI se fait construire sur le cloître un petit palais (en réalité une grande bâtisse en brique flanquée d'un gros portail) et entoure le terrain d'un mur d'enceinte.
Ce n'est pas tout ! Pour pouvoir rejoindre l'église sans craindre une éventuelle tentative d'assassinat, le roi fait creuser dans les sous-sols, dans la pierre sombre volcanique, un tunnel qui relie ses appartements à la crypte de l'église... Quelle prévoyance ! Même si le souterrain est aujourd'hui bouché par un éboulement, les deux entrées sont encore visibles, à la fois dans la crypte et dans l'ancienne maison de Louis XI. Pas de doute possible, l'Universelle Aragne utilisait bien ce tunnel, qui lui servait sans doute aussi à s'isoler pour boire en toute tranquillité les meilleures bouteilles de sa cave...
La mort de François II : prémices des guerres de Religion
Orléans, grâce à son université de droit de renommée internationale, devient très vite un foyer humaniste et germanique fréquenté notamment par Jean Calvin. La ville s'ouvre à la Réforme et de nombreux protestants s'y installent. Le bailli du roi de France à Orléans, Jacques Groslot, est de ceux-là. De 1549 à 1558, il se fait édifier un somptueux hôtel particulier pour afficher sa réussite et montrer sa puissance : l'hôtel Groslot. Située au cœur de la ville, la demeure fait presque face à la Cathédrale Sainte-Croix. Entièrement restaurée au XIXe siècle, la propriété est aujourd'hui l'Hôtel de ville et offre derrière sa façade de briques rouges un tableau opulent de plafonds à caisson, de murs tendus de toile peinte, de lambris à moulures et de mobilier recouvert de cuir de Cordoue.
En 1560 éclate la conjuration d'Amboise. La mort accidentelle du roi Henri II l'année précédente a entraîné l'accession au pouvoir du frêle François II, fils aîné d'Henri et Catherine de Médicis. Le jeune homme confie les rênes du gouvernement à la puissante famille catholique des Guises, intraitables envers les réformés. Au mois de mars, un complot remonte aux oreilles des Guises : des protestants prévoient d'enlever le jeune roi pour le soustraire à leur influence. Déjouée au mois de mars, la tentative d'enlèvement est un échec total. Les conjurés sont pendus aux balustrades du château d'Amboise ou noyés dans la Loire...
Cette situation de crise pousse Catherine de Médicis à convoquer les états généraux le 13 décembre 1560 à Orléans, ville plus facile à défendre que Paris. Jacques Groslot, protestant, a vite pris la fuite, laissant son charmant hôtel particulier entièrement libre. La famille royale l'investit dès le mois d'octobre. François II fait son entrée en grande pompe à Orléans le 18 en compagnie de sa jolie épouse, Marie Stuart. Soudain, devant la porte de la ville, le cheval se cabre et manque de désarçonner son royal cavalier... Mauvais présage, songent certains. Quelques jours plus tard, François II fait une syncope en se rendant à l'Église des Jacobins.
Le monarque est transporté en catastrophe dans sa chambre à l'Hôtel Groslot. La panique envahit l'assistance. Ce jeune homme souffreteux a toujours été sujet aux otites à répétition. Une surinfection a probablement entraîné un abcès au cerveau. Le médecin de la Cour, Amboise Paré, préconise la technique de la trépanation pour sauver le roi. Solution refusée par Catherine de Médicis, horrifiée que l'on puisse songer à faire un trou dans la tête de son fils. Saigné par les médecins qui se relaient à son chevet, François décède après trois semaines d'acharnement... Cette mort inattendue a des conséquences dramatiques sur la situation politique et religieuse du royaume : renvoyés dans leurs terres, les Guises mettent le royaume à feu et à sang, traquant sans relâche les protestants qui osent célébrer leurs messes à l'intérieur des villes. La sanglante période des guerres de Religion vient de commencer !
La Cathédrale Sainte-Croix choyée par les Bourbons
145 mètres de long, 53 mètres de large et une flèche culminant à 106 mètres de haut... La Cathédrale Sainte-Croix, édifiée dans le pur style gothique flamboyant, est aujourd'hui l'emblème de la ville d'Orléans. Sa construction s'étend sur environ deux siècles et son histoire particulière, liée aux rois Bourbons, la consacre à la fois comme la dernière cathédrale gothique et la première cathédrale néogothique de France !
En 1567, alors que la cathédrale vient d'être achevée, débute la deuxième guerre de Religion. Orléans est occupée par les protestants. Des fanatiques s'acharnent sur les églises, symboles du catholicisme. Le prince de Condé lui-même, pourtant à la tête du parti protestant, se désole de cette fureur hystérique qui s'empare de certains de ses soldats avinés. Il fait murer les portes de la cathédrale pour éviter une catastrophe. Hélas ! Le comportement de Condé, prêt à traiter avec les catholiques, déchaîne la colère d'un petit groupe qui se faufile dans l'édifice dans la nuit du 23 au 24 février 1568, armés de tonneaux de poudre à canon. Ils font sauter les quatre piliers de la croisée des transepts, effondrement qui entraîne dans sa chute le clocher, les voûtes du chœur et une partie de la nef...
Il faut attendre l'avènement d'Henri IV pour voir la renaissance de Sainte-Croix. Le monarque promet de reconstruire entièrement la cathédrale aux frais de l'état. Et notre premier roi Bourbon tient sa promesse : le 18 avril 1601, il est à Orléans avec son épouse Marie de Médicis pour poser la première pierre et inaugurer le chantier de ce nouvel édifice que l'on élève en respectant l'architecture gothique flamboyante.
Louis XIV à son tour manifeste beaucoup d'intérêt pour la cathédrale Sainte-Croix et demande à l'architecte Gabriel d'introduire un esprit classique du meilleur goût : le transept sud, petite merveille architecturale, se fond merveilleusement dans l'ensemble gothique. En passionné d'architecture, le roi intervient lui-même à plusieurs reprises pour donner son avis sur l'avancée des travaux. Deux magnifiques rosaces d'origine, en forme de soleil, rappellent encore la main de Louis XIV : jaune d'un côté pour le soleil levant, rouge orangé de l'autre pour le soleil couchant...
Quant au portail occidental situé dans le prolongement de la grande nef, entrée principale et monumentale de la cathédrale, il est édifié dans un raffinement extraordinaire à la demande de Louis XV, dont les armes sont bien visibles. La cathédrale Sainte-Croix est achevée en 1829 sous le règne du dernier Bourbon, Charles X, pour la célébration du 400e anniversaire de la libération d'Orléans par Jeanne d'Arc...
Si Orléans n'est pas la capitale de la France, elle en est restée le cœur ! Je remercie chaleureusement Orléans Val de Loire Tourisme, qui propose de nombreuses visites thématiques en compagnie de guide passionnés, pour partir sur les traces de nos rois et découvrir, à travers eux, la riche histoire de cette ville aux secrets insoupçonnés.
Une dernière pour la fin...
Je vous laisse avec une dernière anecdote savoureuse. En 1751, l'architecte Jean Hupeau est commissionné par Louis XV pour édifier un pont sur la Loire. L'ouvrage est achevé dans son ensemble en 1759. Si aujourd'hui on reconnaît ce pont de plus de 300 mètres de long, composé de 9 arches, comme l'un des plus solides de France, les orléanais du XVIIIe siècle se montrent très réticents.
Il faut attendre que Madame de Pompadour ose le traverser avec toute sa suite dans un carrosse tiré par 6 chevaux pour faire tomber les réserves et ragaillardir l'esprit de moquerie si caractéristique des Français... Un épigramme anonyme célèbre en ces termes l'exploit de la Pompadour sur le Pont Royal, aujourd'hui pont George V :
Censeurs de notre pont, vous dont l'impertinence
Va jusqu'à la témérité,
Hupeau, par un seul fait, vous réduit au silence.
Bien solide est son pont ; ce jour il a porté
Le plus lourd fardeau de France.
Sources
♦ Une journée complète de visite guidée dans la ville !
♦ Orléans et le sacre des Capétiens de Jacques-Henri Bauchy
♦ Les rues d'Orléans, d'Eugène Lepage