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N'y a-t-il qu'une seule conscience ? etc.

Publié le 19 mars 2020 par Anargala
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Je partage sur le shivaïsme du Cachemire.

Cela ne veut pas dire que je partage toutes les doctrines du shivaïsme du Cachemire.
Cela ne veut pas dire non plus que je fais davantage confiance à "mon ressenti".
Mais je fais usage de mon entendement.

Car enfin, il y a une différence entre 

"Ici, je suis conscience transparente" et 
"L'univers comporte cent dix-huit mondes". 
Le degré de crédibilité n'est pas le même, entre une affirmation vérifiable ici et maintenant, et une affirmation manifestement fausse, sauf à la prendre comme une description métaphorique de ce qui est donné ici et maintenant. Mais, même si je concède ce dernier point, il reste que toutes ces doctrines n'ont pas le même degré de crédibilité.

Je propose donc de distinguer trois degrés de crédibilité : 

1 - Pointer l'expérience brute, sans mots ou presque. Comme l'expérience du doigt qui pointe, ici présentée par José Leroy :

La simplicité même.

Cependant, même ici, la crédibilité n'est pas de 100%. Pourquoi ? Parce qu'il est impossible de pointer directement et d'un seul coup l'expérience brute en sa totale simplicité. 

Dans le cas du doigt qui pointe, par exemple, je pointe vers le vide au-dessus des épaules, ici. Mais du coup, j'exclu les formes, les couleurs, etc. Je dois donc, dans un second temps, pointer le fait que l'espace vide ici au-dessus des épaules est plein du monde. Le geste ne pointer le vide au-dessus des épaules peut se faire sans recours aux mots. C'est pourquoi il est plus direct que n'importe quelle affirmation. Mais, comme me le faisait remarquer un adepte de l'Advaita Vedânta en Inde, ce geste est quand même un concept, un vikalpa, puisqu'il affirme en niant : il affirme l'espace vide en excluant les noms et les formes. C'est pourquoi il faut, dans un second temps, corriger ou compléter cette affirmation par une autre. Et donc même là, dans le geste le plus nu, il y a une sorte de langage, de conceptualisation, d'affirmation/négation et donc une dialectique, un dialogue, une pensée.

D'autre part, il est possible de se demander si cette transparence n'est pas une illusion fabriquée par le cerveau, illusion de la conscience dont je n'ai pas conscience, tant que cette illusion marche correctement, de manière fluide, c'est-à-dire tant que mon cerveau n'est pas perturbé. C'est comme un "effet spécial" bien fait : je n'en ai pas conscience. Si j'en ai conscience, c'est que c'et effet est mal fait. Il reste donc possible de se demander si la conscience/présence/vide/espace, n'est pas une illusion.

Pourtant, ce geste est le plus simple. Quoi de plus simple ? Peut-être le silence intérieur, l'arrêt, la suspension ? Quoi qu'il en soit, le degré de crédibilité ici est maximum, car presque rien n'est affirmé : l'expérience brute est laissée à nu. Donnée. Brute. Sans interférence, ou avec des interférences minimales, interférences qui sont ensuite intégrées dans le silence. Comme il n'y a pas ou peu de concepts, il y a peu ou pas de possibilité d'erreur. De plus, comme il n'y a plus de séparation entre sujet et objet, il n'y a plus de possibilité d'erreur. Pas d'intermédiaire, pas d'erreur de transmission. Pas de forme, pas de déformation. Pas d'affirmation, pas de doute. Simplicité, pas d'alternatives. Si je n'affirme rien, comment puis-je me tromper ou être trompé ? Si "je" suis le "je suis", qui donc pourrait se tromper ? A propos de quel objet ?

Le degré de crédibilité est donc maximum.

Pour moi, l'expérience brute a deux aspects : l'arrêt intérieur et le mouvement pur, immobile.

2 - Ensuite, il y a les affirmations qui restent proches de l'expérience brute, mais qui sont clairement des interprétations.

J'en vois deux principales :

a) "La conscience n'a pas de limites"
b) "Il n'y a rien en dehors de la conscience"

3 - Enfin, il y a les affirmations qui sont clairement discutables.

Là aussi, j'en vois deux principales :

a) "Il n'y a qu'une seule conscience"
b) "La conscience crée tout"

Bien évidemment, ces affirmations sont partiellement interdépendantes. Si j'ai conscience qu'il n'y a rien en dehors de la conscience, alors il devient plus facile de croire que la conscience crée tout ce dont j'ai conscience. Et que donc la conscience crée tout, s'il n'y a qu'une seule conscience.

Pour finir, je voudrais revenir sur l'affirmation selon laquelle "Il n'y a qu'une seule conscience".

Car enfin, s'il n'y a qu'une seule conscience en toute chose, pourquoi n'ai-je pas conscience de toutes choses ? S'il n'y a qu'une seule conscience en tous les corps, pourquoi ne ressens-je les souffrances que de "mon" corps ? 

Dans l'expérience brute, le plus fort degré de crédibilité, l'expérience brute, est la réponse. Elle s'épanouit avant le langage, ou presque. Pour moi, c'est cela qui compte le plus. J'aime spéculer, mais j'aime spéculer parce que je sais ce qu'est l'expérience brute. En sécurité à la maison partout, je suis libre de me montrer curieux. Cette sécurité est la base de la liberté. Libre d'être victime de tromperie verbale, je suis libre pour verbaliser.

Les affirmations du degré 2 proposent des réponses basées sur l'expérience. Mais ce sont quand même des interprétations. Celles du degré 3 proposent des réponses, certes, mais plus éloignées de l'expérience. Par exemple, je peux répondre que "Je suis une seule conscience qui joue à se diviser en plusieurs, comme dans une dissociation psychique." Mais ici, voyez-vous, je ne me suffis plus de l'expérience brute. Je construis des hypothèses. Cela se fait à l'intérieur de cette expérience, dans cet espace, certes, mais cela est moins crédible, car cela prête davantage le flanc aux objections. C'est une hypothèse. Pas l'expérience brute.

Ainsi, il faut bien distinguer entre l'expérience brute et les interprétations que nous pouvons en faire.

De fait, les affirmations de degré 2 ou 3 m'apportent de la joie, mais pas toujours. 

En revanche, c'est très différent au degré 1, celui de l'expérience brute, muette. 
Pour être encore plus précis, en cet expérience, je ne sais rien. Ou je sais tout. Ici, les mots perdent leur sens. Ou pas même. Les mots ne servent à rien. Ils sont comme "des voleurs dans une maison vide". C'est trop simple. Cette expérience n'est pas "une expérience". Juste un arrêt. Très clair. Mais insaisissable.

Si je suis absolument honnête, le cœur de ce que je partage, c'est ça.

Le reste est plus ou moins spéculatif, plus ou moins important. Pas essentiel, pas au même degré.
L'expérience parle. Elle ne peut pas ne pas parler. Et ainsi se trahir.
En tous les cas il est important de revenir à l'expérience brute, telle qu'elle se donne. Et pour spéculer, j'ai la raison.
Tout reprendre à zéro. Encore et encore. Sinon, nous finissons prisonniers de notre propre jungle. 
La culture intérieure, c'est comme l'agriculture.

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