En guise d'introduction, deux citations à méditer :
La France renouait avec l'Ancien Régime : le seul endroit à éviter en cas de maladie, c'était l'hôpital.Plan social (François Marchand)
Quand la question des moyens évince celle des finalités, et que la gestion de l’outil devient sa propre fin, les choses perdent leur sens, l’Etat de droit sa raison d’être, et l’homme son chemin. (...) Qu’on soit coach ou président, pape à Rome ou éditeur à Paris, l’exercice politique consiste à transformer un tas en tout – des populations en peuple, par exemple, ou une bande de zigotos en équipe. La superstition économique a l’effet contraire : elle fait d’un tout un tas. Le premier est un art de composition, la seconde, une technique de décomposition.L'erreur de Calcul (Régis Debray)
On s'est bien fréquentés pour choper le virus avant d'incuber tranquillement chacun soi. Le coronavirus accomplissant son œuvre, nous devons, d'ores et déjà, remercier le gouvernement et l'oligarchie de ces quelques jours de presque congés avant que certains d'entre-nous sortent les pieds devant de l'hôpital !
Trêve de plaisanterie. Ils devront payer.
Je me suis demandé s'ils étaient incompétents ou cyniques au vu de leur gestion des affaires publiques et de leurs décisions récentes face au coronavirus. En fait, ni l'un, ni l'autre.
Ce sont des irresponsables qui ne se sont jamais préoccupés de l'intérêt général et du bien commun. Ils ont pourtant fait de très hautes études en suivant les meilleurs cursus : qu'apprend-on à cette l'"élite" avant qu'elle n'accède aux responsabilités ? L'inconséquence de cette "élite" a déjà causé la mort de nombreux habitants en raison de décisions gouvernementales incohérentes. Ces gens se sont révélés incapables de protéger la population quand l'épidémie s'est déclarée et de doter l'hôpital public de moyens suffisants, humains et matériels.
Leurs créateurs se nomment Hayek et Friedman, les théoriciens du néolibéralisme. Cette idéologie nouvelle revendique l'héritage du libéralisme économique traditionnel. Or, trois éléments la distinguent du libéralisme. D'abord, la foi aveugle au marché (et sa main invisible). Selon cette religion qui nous gouverne encore, il faut accorder pleine et entière liberté aux acteurs du marché, c'est-à-dire au secteur privé, et considérer les services publics comme un acteur parmi eux. Ensuite, la détestation des services publics qui privent le marché, et donc le secteur privé, de pans plus ou moins importants de l'activité humaine, comme la sécurité sociale et l'hôpital public ou l'éducation. Enfin, l'amour de l'Etat autoritaire, voire totalitaire puisqu'il n'a échappé à personne que la mise en œuvre des politiques néolibérales a débuté sous Pinochet avec le soutien sans faille des Etats-Unis !
Les néolibéraux ou ordo-libéraux ou capitalistes, peu importe le terme, sont sans foi, ni loi, hormis pour le marché et la concurrence libre et non faussée. Une question s'est posée à eux : comment détruire les services publics et les livrer au secteur privé, à l'oligarchie et à la finance, pour gaver les 1 % ? En effet, la population y est très attachée, surtout les classes populaires qui ont besoin de ces services de qualité, gratuits ou peu coûteux. Ils ont réalisé un lent travail de sape afin que l'attachement collectif devienne de moins en moins fort, et donc en dégradant sa qualité par des restrictions de moyens.
Aussi, ils ont sciemment créé la dette publique et une gestion budgétaire publique calquée sur le privé. Il ne s'agit pas de complot mais de faits vérifiables. Depuis au moins 20 ans, chaque gouvernement, peu importe sa couleur politique, a contribué sciemment au gonflement de la dette publique. Pour atteindre cet objectif, ils ont patiemment asséché les recettes publiques avec les mesures suivantes (liste non exhaustive) :
- création de niches fiscales ;
- exonérations de charges patronales et sociales;
- mise en oeuvre des PPP; [1]
- réduction de la dégressivité de l'impôt sur le revenu;
- créations du crédit impôt recherche (6 milliards d'€ par an) qui n'est qu'une aide déguisée aux entreprises et jamais contrôlée et du CICE (40 milliards d'€) aux entreprise du CAC 40 sans aucun contrôle, ni contrepartie ;
- suppression de l'ISF;
- laxisme dans la lutte contre l'évasion fiscale (100 milliards d'€ par an);
- et d'autres mesures que l'on pourrait même faire remonter à l'obligation pour l'Etat d'emprunter sur les marchés financiers et non plus à taux zéro auprès de la banque de France...
La dette publique a gonflé et est devenue impressionnante pour le péquin qui ne s'est jamais intéressé à cette question. Alors, ils ont brandi son pourcentage calculé sur une année de production, le PIB. Cette présentation de la dette est une arnaque, mais plus c'est gros, plus ça passe comme disait l'autre...
Ce petit exercice de manipulation politique, relayé par les médias de masse qui appartiennent à l'oligarchie, a permis de créer une peur collective et de susciter la culpabilité de tous après la crise des subprimes. [2] Ils ont donc affirmé que la priorité des priorités était la réduction de la dette publique. Qu'il fallait respecter les 3 % du PIB sinon Bruxelles... [3]
Comment ? Selon le discours officiel, les services publics devaient devenir encore plus efficaces, voire rentables avec beaucoup moins de moyens ! Concrètement, en privatisant des entreprises publiques, en pratiquant la privatisation rampante avec des fermetures d'établissements, de bureaux de poste, d'écoles, de maternités, de petites structures rurales, en faisant des opérations immobilières pas du tout juteuses (Hôtel Dieu, Hôtel de la monnaie), en instaurant les PPP, en taillant dans les effectifs de fonctionnaires et d'agents publics, en précarisant le personnel de la recherche, en privilégiant la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale, en appliquant des normes privées pour faire fonctionner la recherche publique et l'assécher de crédits ! C'est ainsi que la recherche sur le coronavirus commencée en 2002 n'a pas été soutenue par l'Etat et l'UE... [4] Il fallait faire des économies !!!!
Il fallait également désigner un bouc émissaire à la vindicte populaire : les fonctionnaires. Des privilégiés, des feignasses qui bénéficient de droits exorbitants, à tel point, par exemple, que Bernard Arnault et Xavier Niels ont tenté d'abandonner leurs petites échoppes pour réussir un concours de la fonction publique, et, ainsi, accéder au Graal ! Je plaisante... Des milliers de postes ont donc été supprimés.
Les responsables sévissent depuis la présidence de Chirac. Et de Sarkozy à Macron en passant par Hollande, tous ont invariablement imposé l'austérité budgétaire au nom de la bonne gestion des deniers publics, et donc de la lutte contre la dette publique. Et pourtant, la dette augmente toujours ! Etonnant, non ? En l'occurrence, leur objectif est exclusivement d'offrir les richesses de la collectivité et les biens communs à la finance et à l'oligarchie au nom de l'axiome du néolibéralisme selon lequel le secteur privé gère mieux que le public.
Par conséquent, la dette publique n'est qu'un prétexte pour détruire les services publics. Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron ont méticuleusement apporté leur précieuse contribution à l’œuvre commune de casse, d'où l'impression (juste) d'une absence d'alternance politique depuis 20 ans et de démocratie...
Hélas, l'hôpital public n'a pas échappé à la casse générale des services publics.
Il fallait, lui aussi, le détruire peu-à-peu pour privilégier les cliniques privées et livrer la santé de la population au secteur privé et à la finance. Ils ont employé la même méthode. Il a suffit de quelques mesures telles que l'instauration d'une nouvelle tarification ubesque, la T2A, les suppressions de lits, de structures médicales et hospitalières et de postes d'agents publics, soignants et non soignants, pour transformer le meilleur système de santé au monde en quelque chose qui ne tient que par l'extrême dévouement de son personnel !
La situation de l'hôpital public est catastrophique depuis la fin du quinquennat Hollande et Macron a maintenu le cap.
Les grèves, les manifestations, les pétitions, le travail de la vraie opposition de gauche au parlement (PCF-LFI), mais aussi les burn-out et les suicides à l'hôpital public n'ont pas pu empêcher la destruction en cours.
Ce travail de destruction de la droite classique, du PS, du centre et de LREM a précarisé, fragilisé et paupérisé une grande partie de la population, et se révèle criminel.
Il ne fallait pourtant pas sortir d'une grande école, non ?
Si tu ne disposes que d'un simple tuyau d'arrosage, tu pourras peut-être éteindre un début d'incendie en hiver dans ton jardin mais tu seras forcément impuissant pour lutter contre un incendie de forêt en plein été !
Avant le coronavirus, c'est-à-dire en période d'activité normale, la situation était la suivante : l'hôpital public, géré comme une boite privée, travaillait déjà à flux très tendus en termes de moyens matériels et de personnels. On mesure aujourd'hui le résultat de cette gestion à courte vue avec le coronavirus et l'afflux incessant de malades !
Depuis des années, les travailleurs de l'hôpital public sont en lutte contre l'austérité budgétaire.
Ils savaient qu'en l'état actuel de ses moyens, l'hôpital public serait débordé s'il devait affronter une grave crise sanitaire, et donc un pic d'activité, important en volume et long dans le temps !
Plutôt que d'écouter, Hollande et Macron ont préféré réprimer le personnel. Le décourager de lutter. Le faire taire. Le mépriser. L'ignorer, notamment quand des centaines de praticiens ont démissionné de leur poste de chef de service.
Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron, ainsi que leurs collaborateurs et leurs soutiens, ne s'intéressaient pas à la santé de la population, et plus généralement à l'intérêt général. Ils ne pensaient qu'à livrer les activités hospitalières les plus fructueuses aux requins de la finance et de l'oligarchie.
Comment donc qualifier ces responsables politiques ?
Ils ne peuvent être considérés que comme des délinquants en col blanc coupables d'homicides involontaires ou tout au moins des coupables responsables qui mériteraient d'être jugés pour leurs forfaits, pour ces vies détruites sur l'autel de leur religion du capital.
Dès la fin de cette crise sanitaire, il conviendra de se mobiliser. Sinon, ils profiteront de l'état de choc d'une partie de la population pour poursuivre leurs réformes de casse sociale. [5]
Notes
[1] L'écotaxe, les PPP & la dette
[2] Rappelons que l'argent public a sauvé le secteur financier (banques, assurances, fonds de pension).
[3] Combien de divisions, Bruxelles ?
[4] Coronavirus : le cri de colère d’un chercheur du CNRS
[5] Sur la stratégie du choc