Le contexte épidémique ne permet pas de se réunir pour la conférence de clôture de l’exposition Black Forest à la Fondation Clément. Mais si cela vous intéresse, voilà le diaporama qui aurait dû être projeté et quelques notes accompagnatrices.
Pascale Marthine Tayou ou le charme du paradoxe
Notes pour la conférence de clôture du 22 mars 2020
Après trois mois d’exposition et tant de conférenciers brillants, je ne suis vraiment demandée comment renouveler le propos et maintenir votre intérêt?
J’ai alors choisi de vous parler du paradoxe dans l’œuvre de Pascale Marthine Tayou
Mais qu’est – ce que le paradoxe ?
Le paradoxe associe de manière originale et surprenante des idées ou des mots en général opposés. Antithétique, il invite à la réflexion.
Pascale Marthine Tayou pratique plusieurs formes de paradoxe :
Inverser les codes
Cultiver les contrastes
Rejeter la notion de recyclage mais créer à partir d’objets récupérés
Rejeter la notion de remix mais concevoir des « œuvres –citations »
Être à la fois nomade et profondément ancré dans son pays natal
L’inversion des codes
La roue des insultes : la roue de la fortune attribue des millions, la roue des insultes distribue des jurons.
Falling house, accrochée tête en bas
La vieille neuve, En général, on exporte des voitures neuves de l’Europe vers l’Afrique. Avec la vieille neuve, Pascale Marthine Tayou inverse le sens du voyage. Il emmène une vieille voiture de l’Afrique vers l’Europe.
La Vieille Neuve est une vieille voiture japonaise, abimée, (une Toyota KE70) qui avait été vendue par un Belge à un Camerounais. Cette voiture était vieille pour le vendeur belge et neuve pour l’acheteur camerounais. Pascale Marthine Tayou l’a rachetée à Yaoundé avant de filmer son trajet jusqu’à Douala pour la ramener d’Afrique en Allemagne. C’est le sens inverse de l’’importation normale de voitures neuves d’Europe vers l’Afrique.
L’Afro : Pascale Marthine Tayou a créé symboliquement sa propre monnaie, l’afro – en écho à l’Euro comme une ébauche de l’utopique union de tous les pays africains. Les billets sont présentés sous forme de caissons lumineux.
Au bas de l’un des billets, on peut lire In Pascale MarthineTayou we trust
Tayou précise : ce qui m’intéresse dans cette phrase, c’est le désir de changement. Dans « In Pascale MarthineTayou we trust », il faut lire « Au changement je crois ». Nous sommes loin de l’ego. C’est une impulsion marketing, esthétique et plastique
Bank of Cameroun
Il crée non seulement sa propre monnaie mais sa propre banque
« La Première fois que je suis allé aux Etats-Unis, tout le monde parlait d’agent. Moi, je n’avais rien à dire puisque je n’en avais pas. C’est là que j’ai décidé de créer ma propre banque.» (PMT)
Wall street (2004)
C’est une installation réalisée dans les rues du Cameroun où sont affichés les logos des entreprises du Cameroun représentant une économie balbutiante.
Il emprunte l’imagerie symbolique d’une économie puissante et florissante, celle de Wall street.
Ces œuvres fonctionnent sur le principe d’une inversion qui pousse à réfléchir à une situation qui semble la norme.
La culture des contrastes
Pizza Dogon est le titre d’une œuvre qui évoque la destruction d’une partie de l’architecture légendaire de Tombouctou et des archives qu’elle renfermait. Tombouctou a été dans l’histoire le socle même d’une pensée véritablement universelle avec l’Université islamique de Sankoré accueillant 25 000 étudiants au quinzième siècle. C’est une ville historique de renommée mondiale, classée par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité à plusieurs titres. Tombouctou possédait un véritable trésor, un ensemble de près de cent mille manuscrits datant de la période impériale ouest-africaine. Des groupes terroristes ont sévi en Afrique de l’Ouest dans le désert entre l’Algérie et le Mali. En 2013, ils ont évolué jusqu’à Tombouctou pour brûler la ville mais des restes de la bibliothèque ont pu être récupérés.
Tayou explique : J’ai tout simplement repris ces fragments sans pouvoir les lire, car ils sont écrits en arabe, et j’ai imaginé quelque chose de populaire. C’est une forme circulaire, qui évoque quelque chose que nous pouvons partager. J’ai réalisé des Pizzas Dogon. Nous pouvons découper des parts et les partager pour les manger en communauté. J’essaie de dire qu’une autre culture n’est pas une menace. Le manuscrit est une source où il faut aller s’abreuver. C’est un morceau de pizza que l’on peut goûter. C’est un symbole.
Le titre forme un contraste avec la gravité de l’évènement : la destruction d’un trésor culturel irremplaçable, les manuscrits anciens de Tombouctou.
On retrouve ce même principe du titre en contraste avec l’œuvre avec l’installation Freedom
Rejeter la notion de recyclage mais créer à partir d’objets récupérés
Au début du XXe siècle, les artistes commencent à utiliser de nouvelles techniques, de nouveaux moyens et de nouveaux matériaux très variés, dits «non nobles». Le recyclage, c’est l’intégration dans l’art de ces matériaux non traditionnels qui ont déjà vécu dans un autre contexte.
« Je ne recycle pas, car j’ai l’impression qu’il y a quelque chose de péjoratif dans le terme de recyclage . Le matériau, c’est tout ce que je trouve sur ma route et que je détourne en lui instillant une âme. »
Il revalorise l’objet abandonné comme déchet pour « donner une place aux objets banals, aux objets frustrés. »
Cependant, il crée à partir de toutes sortes d’objets du quotidien déjà porteurs d’un vécu :
des pailles, des craies, des pavés, des clous, des tongs usagées, des sacs en plastique, des casseroles, des calebasses, des chaînes,des sculptures colons, des masques….
Rejeter la notion de remix mais concevoir des « œuvres –citations »
Certaines œuvres de Pascale Marthine Tayou semblent des remix d’œuvres célèbres antérieures. Cependant, y faire référence n’est pas l’objectif de Pascale Marthine Tayou . Il rejette cette notion de références. Lorsque son commissaire lui demande;
« Quelles sont vos références d’une manière générale ? Et quelles sont-elles dans l’art occidental ? »
Il répond :