Et quoi si à mesure on anticipe
de sourire en sourire
jusqu’à l’ultime espérance ?
Et quoi ?
A quoi ça me sert moi,
moi qui ai perdu mon nom,
le nom qui m’était douce substance
en des temps reculés, quand moi n’était pas moi
mais une enfant trompée par son sang ?
A quoi, à quoi bon
me défaire, me saigner,
me déplumer, me déséquilibrer
si ma réalité se replie
comme poussée par une mitraillette
et soudain se met à courir,
quoique toujours on la rattrape,
jusqu’à ce quelle tombe à mes pieds comme un oiseau mort ?
Je voudrais parler de la vie.
Parce que ceci est la vie,
ce hurlement, cette façon de se clouer les ongles
dans la poitrine, de s’arracher
les cheveux par poignées, de se cracher
sur ses propres yeux, rien que pour dire,
rien que pour voir si on peut dire :
« est-ce que je suis ? n’est-il pas vrai ?
n’est-il pas vrai que j’existe
et ne suis pas le cauchemar d’une bête ? »
Et avec les mains encrassées
nous frappons aux portes de l’amour.
Et avec la conscience couverte
de sales et célestes voiles,
nous réclamons Dieu.
Et avec les tempes qui éclatent
d’orgueil imbécile
nous prenons la vie par la taille
et donnons en cachette des coups de pied à la mort.
Car c’est ce que l’on fait.
On anticipe de sourire en sourire
jusqu’à l’ultime espérance.
*
Mucho más allá
¿Y qué si nos vamos anticipando
de sonrisa en sonrisa
hasta la última esperanza?
¿Y qué?
¿Y qué me da a mí,
a mí que he perdido mi nombre,
el nombre que me era dulce sustancia
en épocas remotas, cuando yo no era yo
sino una niña engañada por su sangre?
¿A qué, a qué
este deshacerme, este desangrarme,
este desplumarme, este desequilibrarme
si mi realidad retrocede
como empujada por una ametralladora
y de pronto se lanza a correr,
aunque igual la alcanzan,
hasta que cae a mis pies como un ave muerta?
Quisiera hablar de la vida.
Pues esto es la vida,
Este aullido, este clavarse las uñas
en el pecho, este arrancarse
la cabellera a puñados, este escupirse
a los propios ojos, sólo por decir,
sólo por ver si se puede decir:
«¿es que yo soy? ¿verdad que sí?
¿no es verdad que yo existo
y no soy la pesadilla de una bestia?».
Y con las manos embarradas
golpeamos a las puertas del amor.
Y con la conciencia cubierta
de sucios y hermosos velos,
pedimos por Dios.
Y con las sienes restallantes
de imbécil soberbia
tomamos de la cintura a la vida
y pateamos de soslayo a la muerte.
Pues eso es lo que hacemos.
Nos anticipamos de sonrisa en sonrisa
hasta la última esperanza.
***
Alejandra Pizarnik (1936–1972) – Las aventuras perdidas (1958) – – Œuvre poétique (Actes Sud, 2005) – Traduit de l’espagnol (Argentine) par Silvia Baron Supervielle et Claude Couffon.