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(Note de lecture) Ce qu'à d'autres, de Monique Domergue, par Isabelle Baladine Howald

Par Florence Trocmé

Propos d’une dénuée

Monique Domergue  ce qu'à d'autres
L’œuvre de Monique Domergue est rare, peu de livres en trente ans, mais une écriture qui a la force de la terre (la Savoie) à laquelle elle est restée très attachée. Ce qu’à d’autres, son dernier livre, est édité chez Jacques Brémond cet hiver sur « de mauvais papiers italiens, ces anciens papiers dits de boucherie » (toujours lire les achevés d’imprimer, autres poèmes, chez Jacques Brémond, ou dates-signes-envois de naissance comme le « 17 décembre jour de la mort de Günther Anders » qui clôt la nouvelle et complète traduction des Journaux de Kafka par Robert Kahn chez Nous, à lire absolument) qui sont comme l’écho du texte.
Quelques pages, un texte par page, rien en face, quelques dessins à la craie grasse de Jean-Paul Domergue, sculpteur, des langues de feuilles ou de sable, non loin de la calligraphie arabe parfois, autres échos du texte également.
Dénuement, comme toujours, déjà si attentif dans Propos de vieilles femmes, ce livre très impressionnant.
Dédicace à Rimbaud, notre fugace étoile de terre, qui s’y connaissait en chemins, voyages, aridité des campagnes ou désert du Harar.
Dédicace aux visages, pas de noms, mais des visages… quoi de plus aimé, de plus doux qu’un visage : « tous les visages que je n’ai pas croisés et qui me/manquent le dehors est on dedans », en effet le pauvre, l’égaré, le réfugié sont ici autant de stèles vivantes sous nos yeux, dans nos mémoires et nos passages trop souvent si rapides.
Un texte par page, donc,  sous le signe de la citation qui le précède à chaque fois : Kapuscinsky, Alexievitch, Spinoza, Dostoïevski, Newton, Psaume de David, Vian, Évangile de Jean, Molière, Billie Holiday, Yourcenar, Laupin, autant d’échos, autant de compagnies, d’absences aussi fortes qu’une présence que chaque texte qui répond à chaque nom « commente » à sa façon, dans un « je » qui n’est ni masculin ni féminin (oh ce neutre que j’aime tant et que peu savent faire exister en français!).
Un poète n’écrit jamais seul. Et ces compagnies sont le monde tel qu’il le voit, fluctuant y compris dans sa physique, minéral, musical, sage ou éparpillé, spirituel ou païen, humaine ou inhumaine :
« toute extase est sacrée jusque dans le tremblement d’un pétale ou sa lueur il ne suffit pas de le reconnaître ».
La patience de l’attente, la géographie intérieure, les pierres, les fleurs, les oiseaux, les insectes, la montagne plutôt que la campagne, mais sans aucune naïveté : juste les regarder vivre. Les arbres comme autant de racines d’un poème. Mais aussi la violence du monde : « laisser le crime habillé de draps clairs choc du cou sous la hache cri du crâne sur le roc chaloupes renversées grappes d’humains comme des chats ». Il y a une profonde douceur, l’amour :
« je vois à ton nom sur ma peau comme autre peau je sédimente »
comme une profonde impuissance, comme une profonde stupéfaction : « qui peut haïr ? ».
Une naissance est toujours possible, « petite fille petite fleur de merisier toutes deux sauvages sauvées dans la confiance et ce savoir frêle et têtu d’une vie à l’autre suspendue », « un jeune veau saute l’enclos », la simplicité est toujours là pour qui s’arrête un peu.
Le livre est adressé : ce qu’à d’autres je dois.
A peu près à tous ceux que je viens de nommer dont Monique Domergue évoque la force en elle mais il faut que cette adresse nous traverse, nous enchante, nous déchire, nous porte, là encore il peut s’agir aussi de cette nature si présente, des écrivains lus, des « musiciens bateleurs magiciens mangeurs de verbe et de couleurs épouseurs de feu coureurs de rue », des « mains aimées. »
« Baissons la garde et tenons-nous près des commencements » écrit Monique Domergue.
Ce n’est pas le virus, ce ne sont pas les élections, ni les réseaux sociaux, rien, rien, rien…
C’est la neige qui tombe tout à coup quelques heures comme si l’hiver existait encore et que le printemps allait encore venir, comme cité en dédicace :

« Ô saisons Ô châteaux »
Le voyant le venteux l’épouvanté des chemins de campagne a toujours raison.
Ce qu’à lui nous devons.

Isabelle Baladine Howald

Monique Domergue, Ce qu’à d’autres, Ed Jacques Brémond, 2020 20 euros 13 p.
Lire ces extraits du livre.


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