(Note de lecture) Ephéméride, de Valérie Rouzeau, par Jacques Morin

Par Florence Trocmé

A la limite de l’éphéméride, cette feuille du jour qu’on retire du calendrier, et des miscellanées, choses mêlées, que l’auteure pointe elle-même en présentation : « notes, fragments, lettres et courriels, traductions, commentaires, poèmes… », le nouveau livre que publie Valérie Rouzeau me semble assez différent de tous ceux qui le précèdent, plus exclusivement recueils de poèmes. On pourra découvrir une prose solide, qui sait mener son sens, pour commencer. Mais la nouveauté se situe au niveau de l’exposition, Valérie montre sans fard une certaine intimité de sa vie. Chose dont le lecteur n’a pas l’habitude de cette façon dans l’écriture poétique de l’auteure. Ainsi apparaît autour d’elle une galerie animée d’amis et de proches restés plus ou moins en filigrane jusque là. L’importance du poète Christian Bachelin dont elle préface le livre majeur : « Neige exterminatrice », et dont elle deviendra exécutrice testamentaire, préface qu’elle reprend ici. Lettre admirative au peintre Jean-Gilles Badaire. Commentaires à propos de certains mots sensibles dans ses recueils les plus importants, une manière de replonger dans l’écriture en train de se faire avec profondeur, simplicité et pertinence. Traductions de poèmes de ses auteurs fétiches : Sylvia Plath et William Carlos Williams. Poèmes en résidence à Saint-Etienne Les casseroles remuent la queue // Comme des petits chiens domestiques… Poème pour John Giorno chemin de fer quelle grande échelle… Texte de son ami Yves Charnet. Poèmes en résidence itinérante avec Lambert Schlechter…Quatrains, anthologie du vers unique, quintils… En outre, ses notes de journal suivent un chemin sans chronologie, selon son intuition et son propre fil de pensée. Une chose est sûre, la poésie, la littérature restent centrales. Et l’on découvre, dans ce faisceau d’amitiés, d’amours, de complicités, la vie du poète qui a un peu de mal à vivre dans la réalité, dans le dur de la réalité qui n’est pas vraiment faite pour convenir à la vie d’un poète. Ce patchwork verbal compose autour de mille choses l’image fragmentée qui forme son quotidien. La difficulté de vivre, voire de survivre, toujours à la limite de la flottaison entre deux sigles : Agessa et Anpe par exemple. Tout ce que les mots apportent dans leur jeu, leur lumière et leurs reflets. Tout ce que les jours apportent dans leur joie, leurs tracas et leur angoisse. Ce volume, qui devrait être suivi par un ou deux autres, indique de l’intérieur de quoi est réellement faite sans emphase ni plainte l’existence d’un poète aujourd’hui.
Valérie Rouzeau, Éphéméride, la Table ronde, 2020, 144 pages, 16,50 €.
Jacques Morin

Extrait :
EXERClTATION Vrouz 71, FROIDIR Neige rien 99,
PENSEMENT Vrouz
113, REMEMBRANCE Vrouz 135
J'ai le goût des mots forgés ou détournés, le goût des
télescopages verbaux, des figures sonores, homophonies di-
verses: assonances, allitérations, holorimes, contrepèteries,
paronomases ... J'ai aussi le goût des mots des autres, que j'ai
quelquefois présentés comme étant « mes mots des autres »,
dans Quand je me deux notamment. Qu'il s'agisse des mots
des poètes, des écrivains qui m'accompagnent (j'ai emprunté
cette « exercitation » à Montaigne, lequel aimait tant à citer
ses chers Anciens) ou de paroles saisies au vol dans la vie de
chaque jour (tel pataquès de cheminot entendu et noté dans
mon carnet, telle prononciation remarquable, etc.), je glane,
je recycle, je transforme et carambole. Aussi, je ne me prive
pas de ce que d'autres langues peuvent apporter à mon petit
moulin, qu'il soit à vent ou à paroles ! l'anglais surtout mais
encore l'espagnol, et tous trésors d'autres lexiques, d'autres
grammaires s'ils me font signe(s). Enfin, il peut m'arriver de
supprimer une syllabe à un mot ou de l'écrire à l'oral pour
des raisons de rythme, certaine urgence de dire: « man»
pour « maman» ou « steu plaît» pour « s'il te plaît » dans
le premier poème de Pas revoir, « froidir » que vous citez,
moins pour l'octosyllabe du poème que pour une percussion
plus forte du sens ... Je ne ferais pas cela si j'avais le souci
de la communication utile, laquelle exclut toute polysémie.
Seul le partage m'importe, même avec du malentendu ! Je
n'ai, en d'autres termes, pas de message à transmettre, seu-
lement un peu de ma pensée songeuse via le jeu sérieux du
poème.
Pages 35-36.