Je ne sais plus si je vous ai déjà parlé de ma Tante Mimi.
Tante qui est une grande-tante en réalité, la tante de ma mère.
Une dame, d’après ce que j’en sais, déjà fragile de nature que la panique due à la guerre et à l’occupation ont plongée dans une folie dont elle n’est jamais sortie (jusqu’à son décès à un âge proche du siècle).
Petit elle me faisait très peur alors qu’elle était, m’a-t-on dit, pleine d’attentions pour moi. Me trouvant trop maigre sans doute elle cherchait à me gaver de brioche trempée dans du café au lait.
Mes parents racontent m’avoir un jour, alors qu’ils repartaient de leur visite à Mimi et Roger – son mari – retrouvé endormi, la tête sur la toile cirée à imprimé vichy, à côté du bol – immense dans mes souvenirs – de café au lait.
A la mort de son mari elle a été recueillie par sa fille et son gendre, dans une ferme en Corrèze, du côté du plateau des Millevaches, où l’un et l’autre, anciens Parisiens, étaient parti sur un coup de tête dans le courant des années soixante pour s’y lancer dans l’élevage de moutons.
De là, où elle allait passer les vingt dernières années de sa vie, elle envoya régulièrement plusieurs lettres dans lesquelles elle se plaignait d’être séquestrée et abusée.
Les lettres ne sont pas restées sans effets, des enquêtes ont été dépêchées mais, rapidement, quelques minutes de conversation avec Tante Mimi ont suffit à ce que l’affaire soit classée sans suite.
Entre autres délires et bizarreries dont elle avait l’habitude il y avait :
- Une obsession pour la famille Decré, riche famille nantaise connue chez nous pour son grand magasin dessiné par les architectes Henri Sauvage, Louis-Marie Charpentier et Charles Friesé et disparu sous les bombardements de 1943. Je crois qu’elle s’imaginait entretenir une intense correspondance avec les membres de cette famille. Il est bien possible qu’elle ait envoyé bien des lettres on ne sait où.
- Une accumulation de papiers et objets en tous genres qu’elle dissimulait sous son sarrau ou dans les poches de son tablier lui donnant une silhouette de tonneau alors qu’elle était en réalité toute menue.
- Une obsession sexuelle de tous les instants – mêlée de paranoïa – qui lui faisait, par exemple, retourner la télé quand elle faisait le ménage parce que « cette salope ne fait rien qu’à vouloir regarder sous ses jupes ».
- Une crainte permanente des microbes – « apportés chez nous par les Boches ! » – la poussant à tout javelliser, tout le temps jusqu’à ses animaux domestiques – dont sa chèvre, la pauvre, qui bénéficiait d’une attention, et donc d’une javellisation, plus soutenue.
Je ne sais pas trop pourquoi le souvenir de Tante mimi m’est soudainement revenu en tête hier alors que je cherchais un sujet de note pour aujourd’hui.
Peut-être qu’en abaissant mon regard jusqu’à ces mains qui tapent le clavier en ce moment même, mains qui, à force d’être passées au savon, au gel hydro-alcoolique, aux lingettes javel et autre détergents, présentent maintenant un épiderme de post-mue reptilienne parsemé ça et là et de micro-coupures et gerçures, peut-être qu’en regardant ces mains je pourrais y trouver quelque indice.
Mais le temps presse et votre patience s’use.