Annotations & Citations (4)
Autour de la neige.
* Florence Trocmé note dans son Flotoir qu’en 1784 Denis Pierre Jean Papillon de la Ferté publie ses leçons élémentaires de mathématiques, dans lesquelles il donne la définition d’un flocon de neige ; qu’en 1807, lors de son voyage dans les régions polaires, l’explorateur William Scoresby étudie les flocons de neige et en réalise de nombreux dessins ; que par la suite la photographie s’associe à la science pour mieux comprendre la structure de la neige ; qu’à la fin du 19ème siècle, Wilson Bentley se spécialise dans la photographie des flocons et réalise plusieurs milliers de prises grâce à la photomicrographie.
* Avant qu’un mathématicien, un explorateur et un photographe n’aillent traquer ces épines de cristal, Johannes Kepler, physicien-géomètre allemand, connu pour s’être penché sur la forme magique de l’octaèdre, dut écrire un bref traité portant sur la structure hexagonale des flocons de neige. Il le rédigea en latin et sous les auspices d’une lettre dument envoyée à son mécène. En amorce de sa lettre il prévient d’emblée son destinataire qu’il n’a rien à lui proposer, et qu’hormis ce ‘rien’, rien ne lui vient à l’esprit. Un rien dont personne ne s’avise du reste, vu qu’il n’a pas lieu d’être signalé. Mais à y regarder d’un peu plus près ce soi-disant ‘rien’ n’est pas sans se nicher en toutes sortes d’infimes incongruités. Telles ces vétilles microscopiques que sont le grain de sable, l’étincelle, ou la particule d’atome. Et parmi tous ces riens qui ont vite fait de s’évanouir, il en est un que J. Kepler retient sous la forme d’une myriade de flocons neigeux lui tombant du ciel et étoilant son manteau. Suite à quoi, il se lance dans une investigation cristallographique, allant détecter dans la structure hexagonale d’un flocon de neige une substance diamantine, voire stellaire. En fin de lettre, il prend encore la précaution de rappeler à son destinataire qu’il n’a livré à son attention rien de moins qu’un rien plus que volatil et de bien peu de poids.
* Flocon. Grain hivernal. Épine de cristal. Poudre roulée en boule d’ouate. Motte ou île flottante. Mousse hilarante et qui fait mystère et boule de gomme sur l’entour de toutes choses. Tant et si bien que tout couve et cogite sous une housse de mousse blanche. La neige fait plus que blanchir le décor, elle l’annule. À vue d’œil, les choses deviennent à peine nommables et semblent perdre de leur évidence scénique. Sculptures laissées en blanc, elles se mettent même à tomber hors de leur nom de choses en ‘choses sans nom’. Chose chue pour lors sous neige… Elle a beau être là, on ne voit plus soudain comment la dire. On ne peut que la laisser en blanc, soustraite à son entour, et comme en deuil d’elle-même. N’est-ce pas d’ailleurs à cette intention qu’on laisse d’ordinaire une chose en blanc ? En vue de la voir ne pas être là ou faire défaut. Comme si l’ombre blanche d’une nuée planait sur tout le décor. Car on ne sait jamais avec la neige où elle va tomber et se résoudre à tenir. Elle n’est là qu’à titre provisoire, n’étant qu’un support tendu à vide. Et un rien l’entache, la creuvasse, la fait se vautrer en boue. Elle fond comme nuage au soleil.
* Au mot de neige, le Littré relève l’expression être de neige pour dire que l’on est sans valeur et même digne de mépris. Ainsi en irait-il du bonhomme de neige. Sa réputation de bonhommie n’est bonne à rien.
Bien que présentant des affinités cristallines avec le sel, on n’a jamais vu dire de la neige qu’elle soit salée, d’autant que le sel la fait disparaître. Encore qu’une tournure proverbiale* en allemand semble le confirmer. Elle dit que ‘la neige d’hier s’avère parfois le sel d’aujourd’hui’.
Tout en déambulant en pleine neige, elle a vite fait de prendre des relents de moyen-âge. Elle peut même vous monter au nez, au point qu’une sorte de sourire d’idiot vous reste collé en plein visage et dont on a du mal à se défaire. À ce sourire extasié, presque hilare, il n’y a guère d’explication, sinon qu’il peut finir en fou rire chez les enfants.
* Ce devait être en hiver, avec un ciel couvant neige. Un jour les murs de la chambre, où j’avais coutume de me retrouver pour écrire, prirent la teinte du ciel. Comme si une mise à jour s’était effectuée en intérieur et à ciel ouvert. Était-ce dû à un simple phénomène de réverbération ou à quelque nuée neigeuse qui conspirait en fond d’air ?
Ernst Bloch parle du même phénomène dans un fragment de son livre intitulé Traces. Une trouée de lumière s’entrouvre, et que le terme allemand de Lichtung restitue tout autant par une clairière en pleine forêt qu’une éclaircie en plein ciel, sauf qu’elle eut lieu à l’intérieur d’une chambre.
©Siegfried Plümper-Hüttenbrink
* La tournure allemande est "Der Schnee von gestern ist der Salz von heute ", liée avec la coutume de semer du sel par temps de neige. Mais, à vrai dire, j'ai dû l'inventer pour la circonstance, et à défaut de voir apparaître quelque chose comme de la neige par les temps qui courent. Elle existe toutefois dans la langue courante sous une forme abrégée, lorsqu’on dit d'une chose "Es ist Schnee von gestern", pour signifier qu'elle est devenue obsolète et n'est plus d'actualité.